Chapitre premier
Terreurs nocturnes
Hall de gare
Étranges sensations. Sueurs froides et transpiration.
Le froid les brûlait et le chaud leur glaçait le sang. L'infini avait l'air si proche à côté de cela. Un tunnel ? Un chemin ? Jusqu'à quand devraient-ils supporter ce malaise physique?
Un choc brutal. La rencontre du corps avec le néant, noir et absolu.
Puis le réveil, douloureuse conscience de soi. Allongés sur un sol brut tels des vermisseaux, les corps reprirent vie. Certains étaient choqués, d'autres comateux, d’autres encore ne sortirent jamais du néant qui les avait engloutis. Depuis quand dormaient-ils ? Nul ne le savait, personne ne pouvait dire ce qui s'était vraiment passé.
Trou noir.
Petit à petit, ici et là, on se relevait, on s'agenouillait, on avait mal, froid, on avait peur…surtout peur. Quelque part une femme sanglotait. Des spasmes arrachés contre son grès par une terreur incontrôlable. Elle portait les stigmates d'un passé dont la vie ne l'avait pas épargné, un passé qui l'avait mise face à un fou armé. Un désaxé qui appuya sur la gâchette trop tôt, ou trop tard. Depuis, son peace-maker était sa seule bouée de sauvetage, la seule chose qui la raccrochait à la vie. Mais quelle vie ! Maintenant, elle avait peur pour elle, pour sa famille, pour tous ceux qui étaient avec elle. Elle le savait, d’autres personnes partageaient son sort. Doucement l’obscurité qui l’engouffrait avait laissé apparaître des sons, lointains d’abord, puis plus proche maintenant. Ils étaient nombreux. Des hommes, des femmes aussi.
Des gémissements, des sanglots puis des cris.
La terreur est contagieuse dit-on. Oui, bien plus qu’on ne le pense… Les hurlements s'amplifièrent, de plus en plus stridents, de plus en plus angoissants. On criait, on hurlait, on mourrait.
Une voix s'élança, donnant à chacun un point d’encrage. La voix était noyée sous des sons parasites, mais qu’importent les mots, tant qu'ils permettaient d'éviter de perdre la raison... de se perdre tout simplement!
- Que tout le monde se calme ! Je suis le capitaine Denys Andrews de l'armée de l'air des États-Unis d'Amérique. Nous allons.....
Mais les bruits sourds continuaient de plus belle, couvrant la voix du quadragénaire.
- Nous allons prendre les choses en mains. Gardez votre calme et tout ce passera bien... ou le moins mal possible!
Le capitaine termina sa phrase juste pour lui même.
- Malcolm tu es là ?
- Oui, juste derrière vous… enfin, je crois.
Les deux hommes tendirent simultanément la main et lorsque le contact se fit, ce fut comme une renaissance, un soulagement inouï. Ils n’étaient donc pas seuls et peut-être qu’avec un peu de chance ils seraient tous là. Andrews glissa sa main dans une des nombreuses poches de sa combinaison et en sortit une petite lampe de poche. Il l'alluma, davantage pour que l'on puisse le localiser, que pour inspecter les alentours.
- Que les membres de ma compagnie se comptent !
Aussitôt une voix surgit, lointaine puis une autre plus proche. Au final trois bonnes dizaines de noms furent criés. Bien que noyés dans un brouhaha assourdissant, ces appels permirent de délimiter un minimum l’espace dans lequel ils se trouvaient. De même, les militaires, rassurés et recadrés par la présence de leur capitaine se reprirent en mains. En moins de dix minutes, suivant l’exemple lancé par le capitaine Andrews, des torches s'allumèrent dans la foule. Une petite quinzaine de halos lumineux apparurent au sein d'un amas de personnes complètement désorientées.
Le capitaine Denys Andrews se tourna alors le militaire le plus proche de lui, le capitaine William Malcolm.
- Malcolm, tu boucles le périmètre de la foule et…
- Et une minute, de quel droit tu me donnes des ordres, je suis tout autant capitaine que toi !
- Je suis celui qui était en charge de la mission en Antarctique, donc je prends le contrôle ici et maintenant. Sans question. Point. Aller, au boulot.
Malcolm le fixa une longue seconde avant de s'exécuter. Quelques minutes et ordres radios plus tard, un périmètre de sécurité fut établit par un groupe comprenant exactement trente-cinq hommes. Tout semblait sous contrôle, pourtant…
Denys tiqua. Il épongea son front à l'aide de sa manche et fixa devant lui. Malcolm le rattrapa et l’interrogea sur son changement brutal d’attitude. Si quelques minutes plus tôt, son capitaine faisait mine de maîtriser la situation, ce qui en soit était miraculeux, maintenant il ne cachait plus l’effroi qui le saisissait.
- Que se passe-t-il Andrews?
Pas de réponse. La terreur est contagieuse. Maintenant c’était un fait et non un « dit-on » !
- Capitaine Andrews. J'attends vos ordres !
Le capitaine Andrews balaya les paroles de gestes vifs de la main. Il traversa une portion de la foule sans même la voir puis sortit du groupe, continuant d’avancer comme un automate.
- Merde.
- Quoi ? Quoi ???
Malcolm hurlait, se crispant davantage à chaque pas.
- Tu ne vois donc pas ? Lui rétorqua Denys.
- Que devrais-je v...
Lui aussi venait de comprendre.
Malgré une portée de 30 mètres, la lampe n'éclairait rien. 30 mètres, assez pour savoir vers quoi ils avançaient, assez pour se rendre compte que devant eux ne se présentait que la pénombre, le vide, le néant. Rien, pas même une petite cloison pour réfléchir la lumière et délimiter un espace de vie. Seul le sol, lisse, terne et impersonnel se dessinait à perte de vue.
Il n’y avait qu’eux et des dizaines de personnes tout aussi perdues qu’eux
Andrews sentit le poids d’une telle découverte. Il était seul et devait prendre les bonnes décisions. Cela n’avait pas toujours été le cas sinon, il ne serait pas simple capitaine à 42 ans. D’un geste de la main, il chassa cette pensée, persuadé de toute façon de n’avoir guère d’autre choix. Pourtant il se trompait. Il n’était pas un si mauvais capitaine. De plus il n’était pas seul.
Quelque part au milieu des cris, d’autres militaires avait entendu son appel à l’ordre. Des hommes très entraînés, des hommes pour qui tout ce qui se passait en cet instant, était certes nouveau, mais pas tant que cela finalement…
Des militaires qui subrepticement se regroupaient.
Analyser, puis agir.
***
Un mal de tête comme il n’en avait jamais eu. Les gueules de bois de lendemain de fêtes à la fac s’étaient de la rigolade à coté. Peter O’Quinn mit longtemps à accommoder sa vision. En cause, la douleur, mais aussi la pénombre qui l’entourait. C’était le chaos. Des gens criaient, se bousculaient. Il y avait plusieurs dizaines de personnes réunies dans cet espace vaste et sombre. Mais que s’était-il passé ?
Peter se rappelait tout juste avoir vu du pont du bateau, un halo instable recouvrir les cieux. Il avait été littéralement happé par une vague bleutée, qui lui avait donné l’impression étrange qu’il perdait la maîtrise de ses sens. S’en était suivie une chute libre vers l’inconnu. L’impression de vitesse avait été incroyable, et pourtant cela avait semblé durer une éternité. Tout cela s’était déroulé comme dans un rêve éveillé. S’il s’était retrouvé sur le MS Nordwige, il en aurait conclu à une hallucination probablement du à un assoupissement. Mais il n’était plus sur le navire.
Le froid avait laissé la place à la chaleur et les ténèbres avaient succédé à la lumière aveuglante du soleil réfléchi sur l’étendue glacée de l’Antarctique. Peter n’avait pas peur. Peter n’avait jamais peur !
C’était un aventurier en quête de sensations fortes. Toute sa vie il avait bourlingué à travers le monde à la recherche d’adrénaline. Il avait travaillé en tant que guide en Amazonie ou dans l’Himalaya, capitaine d’un bateau de Greenpeace, ou encore chef d’expéditions. Il ne restait jamais deux ans au même endroit. Il avait aujourd’hui 56 ans. Cela faisait un an qu’il s’ennuyait à mourir alors il avait décidé de se mettre à la retraite, profitant du joli pactole qu’il avait amassé au fil des ans. Mais l’inactivité n’était pas faite pour lui. Même la croisière en Antarctique lui avait paru insipide.
Aujourd’hui c’était différent. Il s’était produit un évènement inexplicable et Peter comptait bien élucider cette affaire. Paradoxalement, il se sentait on ne peut mieux au milieu de toute cette agitation, il se sentait revivre. L’excitation de l’inconnu le gagnait.
Maintenant qu’il se retrouvait enfin lui-même, ses vieux réflexes revenaient au galop. Étudier la situation et envisager toutes les possibilités. Quoiqu’en l’instant, la situation, tout comme ses conséquences, était aussi obscure que la pénombre qui l’entourait. De nombreux militaires tentaient de faire revenir l’ordre dans la foule. La lumière de leurs torches permettait de voir à quelques mètres autour d’eux. Deux évidences s’imposèrent alors. Il y avait une centaine de personnes dispatchées ça et là… et rien de plus. Rien du tout !
- Excusez-moi ?
Peter se retourna et tomba nez à nez avec une très jolie femme, la trentaine, les cheveux blonds.
- Que fait-on ici ?
Peter sourit.
- Bonne question. Je n’en sais pas plus que vous.
- J’ai peur.
Même avec le peu de lumière disponible, il n’y avait pas à se tromper : elle tremblait.
- Laissez-moi deviner, vous vous rappelez vous être fait happer par le ciel, puis vous vous êtes réveillée ici ?
Elle hocha la tête, totalement imperméable au ton légèrement sarcastique de son interlocuteur.
- Ne vous inquiétez pas, nos amis militaires ont l’air d’avoir les choses bien en main. Nous sommes en sécurité ici. Je me présente : Peter O’Quinn, baroudeur à la retraite.
Il lui tendit la main.
- Laetitia Bousseton, je travaille sur les conséquences du réchauffement climatique en Antarctique.
- C’est un nom français ça ?
Elle sourit. Un sourire timide, mais bel et bien présent.
- Oui, je suis française.
- J’ai travaillé quelques temps en France quand j'étais jeune. Je tenais une ferme que je louais en partie à des étrangers l’été. C’était en Dordogne. Je n’étais pas dépaysé, il y a énormément d’anglais là bas …
Laetitia ne semblait pas l’écouter, son regard était fixé sur les deux militaires qui braquaient leurs torches sur le néant.
- Que font-ils à votre avis ?
- Les anglais ? En Dordogne ?
Elle le regarda franchement pour la première fois. Cette touche d’humour lui réchauffa un tout petit peu le cœur. Peter secoua la tête et redevint sérieux.
- Je n’en sais rien, mais ça n’a pas l’air de leur plaire.
***
Le réveil et sa suite de désagréments. Une fois hissé sur ses jambes flageolantes, un spasme le courba en deux, expulsant hors de son corps meurtri, le déjeuner frugal du matin.
L’obscurité. Intense et vaste.
Des cris, l’odeur de la peur, un sentiment de désorientation absolue. Une peur incontrôlée, du noir et de l’inconnu, le saisit. Une phobie qui à mesure qu’il la découvrait, s’accroissait, se nourrissant de son étonnement.
- Ça va aller capitaine ?
- Harry ? Harry, c’est toi ?
- Oui, c’est bien moi.
Aaron souffla. Enfin une bouée de sauvetage, pour se raccrocher à la réalité.
- Content de t’entendre.
- Tu as vu ce qui s’est passé ?
- Heu, oui, j'ai vu... certaines choses mais, cela n'a aucun sens. Le ciel... on aurait dit...
- Cela paraissait étrangement familier n’est-ce pas ?
Harry hocha la tête. Pour être familier ça l’était ! Harry avait travaillé un temps au SGC à Cheyenne Mountain, siège du programme Stargate, avant d’être muté à la base en Antarctique. Il avait ainsi vu quelques centaines de fois l’activation de la porte des étoiles. Et ce ciel… il aurait juré qu'il s'agissait d'un immense vortex, instable et ondulant, juste avant qu’il ne s’effondre sur eux. Dieu seul savait désormais où ils étaient. Une seule chose était sure : il y avait peu de chance que cela soit sur Terre.
Bientôt, il y eut beaucoup de mouvements autour d’eux. Des pleurs, des lamentations, des injures volant de ci de là. Tout à coup, une voix s’éleva. Un certain Andrews et son équipe, était en train de prendre la situation en main.
- Que fait-on? On les rejoint? demanda Harry.
- Pour l'instant le plus urgent est de nous regrouper, militaires et scientifiques, mais il faut être discrets. Interdiction totale de parler du programme. Il est bien que les militaires s’emparent de l’affaire. Nous ne savons pas encore ce qui s’est passé. Laissons-les déblayer le terrain. Quand nous en saurons davantage, nous interviendrons. De ton coté Harry, tu vas te mêler à eux. Si tu vois ou entend la moindre chose devant nous inciter à dévoiler notre présence...
- Je sais ce que j'ai à faire cap'taine.
Harry retira sa veste aux couleurs du programme. Son treillis, ses chaussures et sa casquette suffisaient amplement pour l'intégrer au sein des autres militaires. Il passa aisément inaperçu, comme aurait pu l'être le soldat lambda. Insidieusement, il se faufila parmi les hommes, collant aux plus près de ceux qui allaient faire bouger l'histoire, les capitaines Malcolm et Andrews.
***
Un grincement sinistre se fit entendre. Cela donnait froid dans le dos. Des cris s’élevèrent dans la foule apeurée. Il ne pouvait pas rester comme ça indéfiniment. Il était temps de faire le point. Denys prit une profonde inspiration. Il fallait prendre les bonnes décisions et vite. Il n’y aurait personne au dessus de lui pour le couvrir et assumer ses fautes. Il était son propre supérieur dorénavant.
- Toi, toi, toi et toi, vous surveillez la foule, fit-il, tapant sur les épaules des intéressés. Les autres, réunion de crise.
Les militaires se regroupèrent au coté de leur leader, puis tous s’éloignèrent de plusieurs pas. A la lueur de leurs torches, ils ne voyaient toujours rien d’autre que le sol. Quand il fut convenu qu’ils étaient assez loin pour ne pas se faire entendre des civils, ils entourèrent le capitaine Andrews, qui se mit à faire le point, efficace, comme d’habitude.
- Je prends le commandement, jusqu’à ce que nous trouvions un moyen de sortir d’ici. Le capitaine Malcolm, ici présent sera mon second …
- Je croyais que c’était le major qui était responsable de la mission en Antarctique.
Andrews tiqua, puis fixa l’homme qui venait de l’interrompre. Premier lieutenant, vingt-cinq ans, noir américain, Earl Davidson était le bras droit de William Malcolm. Un bras sacrément musclé, qu’il valait mieux avoir avec soi que contre soi. Andrews le savait, mais ce n’était pas le moment de ménager les égos de chacun. Il fit un geste ample, englobant les hommes présents autour de lui.
- Tu vois un major ici ?
- Non, mais …
- Alors tu la fermes, et tu suis mes ordres Earl.
L’ambiance s’appesantit, Davidson se redressa de toute sa hauteur, le visage crispé par la fureur. Le capitaine continua comme si de rien n’était. C’était notamment cette attitude qui faisait de lui un bon capitaine, respecté de ses hommes.
- Nous allons nous séparer en deux équipes. Nous sommes une trentaine, mais il nous faudra du monde si les civils paniquent. Malcolm, tu prends sept hommes avec toi, et vous partez explorer dans cette direction. Tout en restant très prudent. Et j’insiste sur le « très ». Si nous sommes ici c'est que quelqu'un ou quelque chose nous y a envoyé ou attiré. Méfiez-vous de tout !
- D’accord… chef.
Ce dernier mot avait été dur à prononcer de la part du capitaine, et n’avait pas été dénué d’ironie. Une fois de plus, Denys fit comme si il n’avait rien entendu. Ce n’était pas le moment pour une lutte de factions. Une fois chacun occupé, les esprits se calmeraient sûrement. C’était du moins à espérer. La situation était atypique, il fallait être compréhensif, le temps que les hommes s’adaptent. Ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls à souffrir de l'incongruité de la situation. Il fallait agir et vite.
- Vous autres, vous venez avec moi, nous allons recenser tout ce petit monde.
Les deux groupes se séparèrent, et Andrews soupira. Il ne fallait pas que cette situation dure éternellement. La tension entre les deux capitaines était grande et n’avait cessé de prendre de l’ampleur depuis leur première rencontre ….
Deux semaines plus tôt, en Antarctique
Denys secoua la tête. Ce n’était pas bon signe. Le major Palmer convoquait rarement les gens dans son bureau. Et quand il le faisait, ce n’était jamais pour annoncer de bonnes nouvelles. Le major avait toujours était un rond de cuir, et cela excédait Denys. La tension avait toujours était forte entre les deux hommes. Andrews se trouvait dans un couloir étroit, à la température agréable. La climatisation faisait son effet. La chaleur dans cette latitude, était synonyme de survie. Il fut bientôt arrivé à destination.
Il y avait une petite lucarne sur la porte. A travers on pouvait voir le major, ainsi qu’une autre personne assise en face de lui.
Denys prit une profonde inspiration, frappa, et une voix grave et bourrue lui demanda de rentrer. Il s’exécuta.
La pièce était vaste, 20 m2, ce qui tranchait étrangement avec l'unique bureau la meublant. Un grand vide que le major savait combler de sa personne. De vieilles armes datant de la guerre de sécession couvraient les murs. L’on pouvait aussi y voir deux, trois médailles, appartenant au propriétaire des lieux.
- Capitaine Andrews, je vous présente le capitaine Malcolm.
Les deux hommes se serrèrent la main en se regardant droit dans les yeux. Denys n’aima pas du tout ce qu’il vit dans ceux qu’il fixait. L’éclat de la victoire.
- Cet homme, reprit Palmer, nous a été chaudement recommandé par l’état major. Il vous secondera dans votre travail capitaine.
Andrews avait compris. Seconder ? Mon œil oui ! On lui demandait de former sa relève, en quelque sorte. On n’allait pas tarder à le renvoyer. Après tous ces sacrifices, ici dans le froid polaire…
- Je n’ai pas besoins d’un second. Il y a tout juste assez de travail pour moi.
Le major sourit, découvrant de jolies dents blanches, dignes d'une publicité vantant les mérites d'une pâte dentaire.
- Sortez capitaine Malcolm!
L’intéressé hocha la tête, actionna la poignée du bureau, grand sourire, puis lança un regard rayonnant à Denys avant de sortir.
- Vous ne pouvez pas me faire ça à moi, major ! Après tout ce que j’ai fait pour vous ! Ce gars-là, il a du lait qui lui coule du nez …
- Vous avez toujours joué solo, capitaine. J’en ai marre de devoir continuellement repasser derrière vos fesses pour nettoyer la merde !
- Allez respectueusement vous faire foutre, major !
D'un bond, le major se retrouva debout devant son capitaine. Les poings serrés enfoncés dans le bois dur du bureau et la mâchoire crispée sur une envie soudaine de meurtre. Une envie brutale mais pas si récente finalement. Les deux hommes étaient maintenant face à face, rouges de colères. Seul le bureau les séparait.
- Savez-vous ce que coûte l’insubordination capitaine ?
- Non, mais je sais ce que coûte l’entretient d’une base comme celle-ci. Beaucoup moins que ce que vous déclarez à l’état major.
Palmer s’assit et émit un rire sonore, particulièrement désagréable.
-Vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez, capitaine et vous n’en aurez jamais. Je vais passer sur ce petit excès de bile, que je pense être le résultat d’une intense déception.
Le major se rassit, faisant mine de retourner à sa paperasse. Après quelques secondes de silence, il releva la tête sur Denys qui n'avait pas bougé.
- Vous pouvez disposer capitaine.
Un geste de la main, en direction de la porte conclu ses propos. Denys sourit faiblement, salua le major d’un geste crispé, puis se dirigea vers la porte. Il savait qu'il venait de remporter une bataille, mais la suivante ne serait peut-être pas à son avantage. D’autant qu'il avait maintenant le toutou du major dans les pattes. Alors qu'il s'apprêtait à refermer la lourde porte derrière lui, la voix grave du major se fit une fois de plus entendre.
- Ah oui, j’allais oublier, je vous laisse deux mois pour vous trouver une nouvelle affectation.
Sa victoire était effectivement de courte durée mais la guerre ne faisait que commencer...
***
Des équipes d'exploration avaient été constituées. Au vu du nombre restreint de militaire, il avait été établit que chaque équipe ne serait constituée que de deux hommes. Le premier ayant pour objectif de protéger le second. Évidemment l'attribution de l'ordre étant à la libre disposition des hommes. Seul trois équipe furent ainsi mise en branle. Le capitaine Malcolm aurait bien aimé en faire partir davantage mais il convint rapidement avec Andrews qu'ils n'avaient pas assez d'armes, de radios mais surtout d'hommes pour se permettre de s'éparpiller ainsi au hasard. Une de ces équipes était constituée des sous-lieutenants Larry Marsden et Vernon Acker.
Leur avancée était lente, plein de précaution. Leurs torches au niveau de leurs visages, ils balayaient l’étendue sombre devant eux. Cela faisait un moment qu’ils n’entendaient plus le bruit de la foule, et pourtant ils n’avaient rien rencontré d’autre que le sol. Toujours le même sol, métallique et froid. Rompant le silence monotone, seul la radio montrait l’avancée des autres équipes, qui elles aussi faisaient chou blanc pour le moment. Les deux hommes étaient tendus, luisants de sueur.
- Larry, tu as compris quelque chose sur ce qui se passe ici toi ?
Larry Marsden, un grand blond aux yeux bleu, émis un petit rire nerveux avant de répondre.
- Si c’était le cas, je ne serais pas en train de mouiller ma chemise, Vernon. A vrai dire, je n’aime pas du tout cet endroit. C’est trop silencieux, beaucoup trop.
Larry s’arrêta net, alors que son équipier n’était plus à coté de lui. Il tourna la tête et tomba sur le visage de son ami, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte.
- Vernon ! Mais qu’est ce que tu fous !
- Je… je crois que j’ai trouvé quelque chose.
Le sous lieutenant Marsden se pivota, et regarda vers ce qu'éclairait la torche de son binôme.
- Nom de Dieu !
Un immense mur se dressait devant eux. Paradoxalement ce qui faisait converger leurs faisceaux lumineux n'était pas cet unique et démesuré obstacle mais la petite porte qui se dessinait devant eux. Une issue probable si tant est qu'il s'agisse vraiment d'une porte. Pas de poignée, pas d'interrupteur, pas de pancarte incitant à pousser avec énergie pour ouvrir, rien qu'une cloison lisse et neutre. Larry saisit sa radio.
- Ici le sous-lieutenant Marsden, nous avons trouvé ce qui pourrait bien être une porte. Nous sommes au Sud, Sud Ouest de votre position.
« Beau travail, restez là où vous vous trouvez, nous vous envoyons des renforts. »
- Bien reçu !
Larry s’essuya le front avec sa manche et soupira. Il n’y avait plus qu’à attendre la cavalerie et à… Un bruit métallique le fit sursauter. Il saisit son PM en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, et il le braqua… sur son coéquipier. Vernon Acker était en train de frapper à la porte.
- Merde Vernon ! Tu veux me faire avoir une attaque ! Qu’est-ce que tu crois? Qu’on va t’ouvrir ? T’es qu’un crét …
De l’air sous pression siffla tout à coup tout autour de la porte, qui s’ouvrit en coulissant le long de la cloison. Un sourire victorieux illumina le visage du sous-lieutenant Acker, ce qui eut le don d’énerver prodigieusement son ami.
- On devait attendre les autres avant de faire quoi que ce soit !
- Reste là si tu veux, moi je vais explorer cette salle.
- Tu ne sais même pas ce que tu vas y trouver !
- C’est bien pour ça que je veux l’explorer, pour savoir ce qu’il y a à l’intérieur.
Son ami disparut dans la pénombre de la pièce.
- Je sens que je vais le regretter.
Marsden se signa et entra dans la pièce à la suite de son ami.
L'obscurité semblait plus intense, presque palpable. Elle paraissait absorber en partie la lumière provenant des lampes torches. Pourtant, malgré le faible éclairage, on distinguait quelque chose, une paroi, un mur que l'on pouvait suivre... enfin. Il avait le même aspect métallique que le sol. La déco de cet endroit n’était décidément pas bien originale. Leurs torches éclairèrent bientôt ce qui semblait être un tableau de commande éteint.
- Larry, je crois qu’on tient quelque chose !
Avant même que Marsden ait pu dire quoi que ce soit, Vernon commença à pianoter dessus. Un sifflement aigu retentit soudain dans la pièce. Les deux hommes se retournèrent, brandissant leurs armes accolées à leurs torches.
- On se tire, Vernon!
- Fais pas ta vierge effarouchée Larry, on a besoin de lumière ici et je suis sûr que cette console …
- Tais-toi!
- Ecoute, je …
- Pas un bruit !
Marsden avait cru voir des formes se dessiner devant sa torche. Et cela faisait un moment qu’il se sentait étrangement observé.
- Prépare-toi à me couvrir Vernon.
- Il faudrait que tu penses un jour à arrêter le café, ça devient franchement …
L’attaque vint sans prévenir. Larry, qui était sur le qui-vive, se jeta à terre de tout son poids, ce qui lui sauva probablement la vie. Une large entaille lui avait labourée le bras droit. Il saisit sa lampe et la braqua vers la console. Son coéquipier avait disparu. A la place, une large giclée de sang barrait le soit disant tableau de commande. Larry se releva difficilement et s’adossa au mur, ruisselant de sueur. Son arme tremblait sous l’effet de la terreur et de la blessure qui l’handicapait énormément. Mais il lui était impossible de tirer avec l’autre bras. Du sang coulait du canon de son arme, rompant le silence profond qui s’était installé après l’attaque.
Plic… ploc… plic… ploc… Un bruit à peine audible mais qui assourdissait le sous officier par le constat funèbre qu'il évoquait. Il saisit sa radio, la serrant au plus près de sa bouche.
- Vernon, tu me reçois ?!
Des parasites fut sa seule réponse.
- Nous nous sommes fait attaqués. J’ai besoin d’aide, envoyez du renfort, nous sommes entrés dans la salle.
Il ne captait aucune réponse. Les ondes radios ne traversaient apparemment pas les murs. Il ne restait plus qu’une chose à faire : sortir ! L’arme et la torche braquées sur l’obscurité, il marcha dos au mur, lentement vers la sortie. Un cri d’agonie se fit soudain entendre, qui eut pour conséquence de faire dresser tous les poils du corps de Larry. Un étrange craquement marqua la fin de ce lugubre son. De la sueur dégoulinait de ses sourcils, lui brûlant les yeux. Une forme passa devant le faisceau de sa lampe… il tira. Une longue rafale pour balayer l’espace. La seule chose qui arrêta Larry fut le manque de munitions. Il fallait recharger et vite. Quelque chose tomba à ses pieds. Il braqua le faisceau de la lampe torche sur le sol, et découvrit le corps ensanglanté de Vernon. Il était entièrement nu, des blessures profondes lui labouraient le corps, de la tête au pied. Ce visage, ces yeux… c’était horrible. Larry eut une terrible nausée en comprenant soudain l'origine du lugubre craquement perçue quelque instant plus tôt. Si les yeux vitreux de son ami le suppliaient d'un dernier regard, son corps au contraire lui tournait le dos en une position qui ne devait rien à sa légendaire souplesse. Ce mystérieux ennemi voulait que Larry voit comment il allait mourir, pour qu’il soit tétanisé par la peur… et c’était plutôt réussi.
Ne pas craquer, ne pas craquer ! Il sentit sa vessie se vider, mais ne put l’arrêter. Il ne pouvait pas gagner face à cet ennemi monstrueux. Son arme lui semblait bien ridicule désormais. Il n’avait plus qu’une seule idée en tête pour survivre face à un tel adversaire, courir le plus vite possible ! Il lâcha son arme et sa lampe puis courut comme un dératé vers la porte. Il sentit quelque chose de rapide le suivre … le rattraper. Ses doigts frôlèrent la porte, enfin! Mais autre chose le frôla. Il n'eut pas le temps, ni même le désir d'en savoir plus, que la chose se planta dans son dos, le plaquant au sol.
Il savait qu’il avait perdu ... Il avait raison. Il ferma les yeux, espérant une mort rapide semblable à celle de Vernon... il avait tort.
***
Mon capitaine ! Sergent Banes au rapport ! 95 personnes se sont spontanément présentées mon capitaine. 13, principalement des femmes, ont été récupérés, ça et là, errant un peu hasard. Mon capitaine?
- Oui?
- Il y avait aussi 12 corps sans vie.
- Cause des décès?
- Inconnue mon capitaine, mais comme il s'agit de personnes âgés, je suppose qu'elles n'ont pas supporté le heu... transfert?
- Merci Banes.
Le sergent Banes était une nouvelle recrue pleine d'enthousiasme et d'énergie. Il aimait son métier, cela crevait les yeux ! Cependant, cette fois-ci, ce ne fut pas suffisant pour remonter le moral du Capitaine Andrews. Deux de ses hommes avaient disparu. C’était ce qui pouvait arriver de pire pour un militaire responsable de ses troupes. La dernière communication radio avec eux prouvait qu’ils avaient découvert une porte. Peut-être que malgré les ordres, ils l’avaient franchie et que la cloison les rendait injoignable ? L’autre théorie était bien moins optimiste, et ce pour tout le monde …
Malcolm et Davidson balayaient l’espace à l’aide de leurs lampes torches. Cela faisait plus d’une heure qu’ils recherchaient les deux disparus. Earl savait que le capitaine n’abandonnerait pas facilement, mais il fallait maintenant se rendre à l’évidence. Plus le temps s'écoulait, plus il emportait avec lui les chances de les retrouver sains et saufs. Dans un grand rien, quel pouvait être le danger sinon se perdre? Oui, mais alors, quel était l'obstacle les empêchant de se manifester, de crier? Un frisson glacial le parcouru. Le noir absolu avait toujours suscité en lui les pires craintes. Des terreurs enfantines qu'il croyait reléguées aux rangs des souvenirs qu'on se remémore sans plaisir. Pourtant, en cet instant, l'ogre, le loup-garou et les pires monstres de son enfance étaient tapis quelque part dans ce grand rien, prêt à se jeter sur lui, comme ils l'avaient déjà fait sur Vernon et Larry.
- Capitaine, je ne pense pas que…
Il fut arrêté dans sa phrase par un malheureux accident. Son pied droit glissa, et il s’étala de tout son long sur le sol. Le capitaine éclata d’un gros rire gras.
- Lieutenant, vous êtes fin prêt pour les J.O. d’Hiver !
Le rire de Malcolm était connu pour être communicatif. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Au lieu de la surface lisse et froide, les doigts du lieutenant rencontrèrent un liquide chaud et poisseux. Il ne lui fallu pas longtemps pour deviner ce que c’était. Même l'odeur qui venait maintenant chatouiller ses narines confirmait ses soupçons. Une odeur acre et métallique, une odeur de mort. Le silence brisa net le fou rire de Malcolm lorsque sa lampe torche vint éclairer Earl et avec lui la macabre découverte.
- Earl, vous allez bien ?
- Ce n’est pas mon sang mon capitaine.
Malcolm aida son fidèle lieutenant à se rétablir sur ses jambes et ils suivirent de leurs faisceaux lumineux la piste sanglante. Sous peu, leurs torches éclairèrent une paire de rangers, puis le reste d'un corps, lacéré de la tête aux pieds, reposant dans une flaque de sang.
- Davidson, couvrez-moi!
Doucement, le capitaine s'approcha du corps inanimé et le retourna. L'homme respirait faiblement, encore lié à la vie par un fil qui s'amenuisait rapidement. Un simple échange de regard entre le capitaine et son lieutenant suffit à établir un diagnostique commun. Chance de survie: zéro pour cent!
Le capitaine William Malcolm posa un genou à terre et une main sur la poitrine du militaire. Les mouvements étaient à peine perceptibles.
- Sous-lieutenant Marsden vous m’entendez ?
Aucune réponse. Pas même un mouvement de paupière. C’était sûrement trop tard… ils étaient arrivés trop tard ! Soudain les yeux du sous-lieutenant s’ouvrirent en grand, et il saisit Malcolm par son gilet. Sa force était incroyable compte tenu de son état. Leurs visages se touchèrent presque.
- … ils l’ont tué… Acker… ce sont des monstres… n’ouvrez pas…
Puis ses yeux et sa bouche restèrent grand ouvert sur ce dernier mot. Tous ses muscles se détendirent. Il expira une dernière fois. Le fils qui le reliait à la vie avait cédé. Malcolm et Davidson se jetèrent un regard, la même terreur luisait dans leurs yeux.
***
Les deux capitaines se faisaient face, le teint rubicond. Une violente dispute venait d’avoir lieu sur la suite à donner aux évènements. Malcolm voulait continuer à explorer l’endroit, car selon lui leur seule chance de survie était de sortir de là. Andrews, quant à lui, préconisait une protection accrue des civils. Ce qui mobiliserait quasiment tout ses effectifs. Finalement un seul point obtenait leur approbation mutuelle: laisser les civils dans l'ignorance!
Les 108 civils étaient déjà au bord de l'explosion. La panique était à fleur de peau. Inutile donc d'allumer la mèche!
- C’est mon dernier mot.
- Si vous aviez vu …
- Je me l’imagine très bien capitaine Malcolm. « Un corps atrocement mutilé », c’est assez suggestif comme expression. Cela nous donne une raison de plus pour protéger ces gens d’une menace potentielle. C’est avant tout ça notre boulot. Voler au secours de la veuve et de l'orphelin. Protéger les citoyens aux mépris de sa propre vie... ça ne vous rappelle rien capitaine? De plus, cela ne nous servirait à rien de nous éparpiller. Nous donnerions à notre adversaire des proies faciles et isolées. Dans cette obscurité, ce serait du suicide pur et simple.
Un tic nerveux crispa la lèvre de Malcolm. Cet homme n’avait décidément pas la carrure d’un chef. Si le major avait été là, il l’aurait écouté, lui, et non cet imbécile d'Andrews! Il fallait lui rabattre son caquet à cette chiffe molle !
- Que proposez-vous alors capitaine ? Qu’on reste là bien tranquillement à attendre qu’on vienne nous tuer ?
- Non. Protéger la foule ne veut pas dire que l’on doit rester inactif.
***
Un troupeau. Une horde de plus de cent personnes se déplaçait dans un noir percé de quelques rayons de lampes torches.
- Echo ! Cria un homme dans la foule.
Rires autour de lui.
Ils progressaient méthodiquement avec une extrême lenteur. Ils n'étaient pourtant ralentis par aucun obstacle, bien au contraire, mais l'espace, en l'occurrence, était leur pire ennemi. Dans quelle direction avancer ? Comment être certain que le chemin emprunté n'allait pas les perdre davantage encore dans le néant? Le capitaine Andrews n'avait pas de réponse à toutes ces questions, aussi les chassa-t-il dans un coin reculé de son cerveau, dans la case " résoudre un problème à la fois" !
Les rayons de lumière tournoyaient dans le vide à la recherche d’un contact, n’importe lequel. Soudain, les soldats en tête de cortège demandèrent le silence et stoppèrent la marche. Le capitaine Andrews les rejoignit aussitôt.
- Que se passe-t-il?
Le lieutenant Cornélius Butch s'approcha du capitaine. Il avait l'air inquiet et en même temps excité par la curiosité.
- Il y a quelque chose, là devant.
Le lieutenant Butch leva la torche dont le faisceau semblait au loin se dévier légèrement. La distance était impossible à évoluer mais il y avait quelque chose, c'était certain. Le capitaine Malcolm intervint instinctivement, sans réfléchir outre mesure.
- Qu'est-ce que c'est?
La stupidité de la question lui apparu avec netteté, tout comme le mépris qu'éprouvaient certains hommes à son égard. Il avait conscience que la situation lui était défavorable et que son manque d'expérience jouait en sa défaveur. Il n'eut pas le temps de se morfondre davantage car Andrews intervint à son tour d'un ton qui ne laissait place à aucune protestation.
- Et bien William, c'est ce que nous devons découvrir. Partez en éclaireur avec le lieutenant Butch et tenez-moi au courant de votre progression. Je ne veux pas que vous rompiez le contact!
- ...
- Qu'attendez-vous! On se bouge, capitaine!
Malcolm reçut cet ordre comme un coup de poignard blessant profondément son orgueil et son amour propre. Si son aversion pour Andrews n'avait pour fondement que son ambition personnelle, les choses venaient clairement de passer à l'échelon supérieur. Il s'exécuta donc sans broncher, les doigts crispés sur un coup de poing imaginaire.
A une cinquantaine de mètres de la foule, Cornélius cru bon de briser le silence qui alourdissait l'ambiance pesante de l'exploration
- Capitaine, ne le prenez pas mal, mais il est plus à sa place que vous, ricana-t-il.
- La ferme, lieutenant. Concentrez vous et gardez l’œil ouvert c’est un ordre !
- Bouh, susceptible va !
- Je vous ai dit LA FERME sinon...
- Sinon quoi ?
A ces mots, William l’attrapa par le col, le menaçant.
- Oh, je vois, vous êtes vraiment pitoyable. Et puis, maintenant quoi ? Vous allez me trucider au beau milieu de nulle part ? Vous êtes pathétique mon capitaine ! Si vous voulez que les hommes vous respectent, commencez par agir en soldat et non en politicien. Le capitaine Andrews n'est peut-être pas très protocolaire mais c'est un homme de terrain qui n'a pas peur de se salir pour ses hommes!
- Méfiez vous Lieutenant Butch, je suis quand même votre supérieur. Je n’hésiterai pas à vous descendre pour trahison et indiscipline !!
- Indiscipline ?
- Oui dans des moments pareils, les circonstances sont plus qu’aggravantes pour vous.
William avait conscience d'être aller trop loin. Butch avait raison sur au moins une chose, il lui fallait conquérir la loyauté de ses hommes et il était plutôt mal barré pour le moment.
La radio grésilla, arrêtant la discussion houleuse avant qu’elle ne dégénère davantage encore.
- Malcolm! Je vous avais dit que garder le contact! Que se passe-t-il ?!
William reprit son sang-froid, relâcha doucement le col de Cornélius et le pointa du doigt, le regardant avec les yeux plein de haine.
- Rien Andrews, lui répondit-il.
- Bien. Alors continuez et contact radio toutes les cinq minutes.
Ils se remirent en route. William serrait les poings qui le démangeaient. A quelques mètres de la cible ils allumèrent les torches de leur arme qu'ils pointèrent sur la cible, un mur et... une porte!
Malgré la peur de l'inconnu et la prudence de rigueur, ils ne purent cacher leur soulagement. Il y avait enfin quelque chose, un objectif sur lequel travailler. Restait à savoir si cette porte serait une échappatoire ou au contraire l'entrée vers de plus graves problèmes, si tant est que cela soit possible ! Alors que ni plafond, ni surface, ne s'étaient offert à eux jusque là, tout bascula en un instant.
Ils approchèrent à pas de velours. Le capitaine Malcolm frappa le mur. Un son lourd s’en échappa. Ils se positionnèrent de chaque côté de la porte. Assez volumineuse, elle permettrait aisément le passage simultané d'une dizaine de personne.
Un seul hic, tout comme celle ouverte par feu-Marsden et Acker, cette porte ne disposait pas de poignée d'ouverture.
De retour au check point
Les civils envisageaient enfin une issue favorable à leur déboire. La rumeur selon laquelle une porte venait d'être découverte avait fait le tour avec une extrême rapidité. Le fait que cette porte restait obstinément close étant secondaire face à l'espoir engendré... et cela arrangeait bien le capitaine Andrews et ses hommes.
Ils avaient rejoint le capitaine Malcolm et le lieutenant Butch, ne laissant auprès des civils qu'un contingent de sécurité. Après avoir inspectés les lieux pendant une bonne heure, ils s'étaient finalement n'aperçus qu’aucun mécanisme visible ne permettait d’ouvrir la porte. Mais comment diable avaient fait Marsden et Acker?
- Et maintenant MON capitaine?
L'ironie et la suspecte soumission du capitaine Malcolm n'échappa à personne. Tous les hommes se tournèrent cependant vers Denys, car aussi perfide fut-elle, la question n'en était pas moins sur toutes les lèvres.
- On a au moins un moyen de sortir de cet endroit. Reste à trouver comment ouvrir cette fichue porte. Allez remuez-vous les méninges, ce n'est pas le moment d'être défaitiste. Nous n'avons ni le temps, ni les moyens, pour cela. Toute suggestion sera la bienvenue.
Un léger brouhaha commença à s'élever alors que chacun questionnait son voisin en quête de solution miracle. Le premier lieutenant Davidson se tourna vers un militaire qui gardait obstinément le silence et fixait la porte avec un intérêt communicatif.
- Vous avez une idée?
Harry eut du mal à sortir d'un état presque hypnotique. Depuis qu'il était arrivé devant la porte il ne pouvait détacher son regard des inscriptions qui ornaient le mur. Évidemment les militaires n'avaient pas prêtés attention aux glyphes qu'ils prenaient sans doute pour de simples dessins géométriques, ou des altérations de la paroi, mais lui savait qu'il n'en était rien.
Harry n'était pas expert en écritures aliens mais il pouvait déchiffrer des phonèmes simples. En l'occurrence, il lisait « Le Phage », ce qui ne signifiait rien, du moins à sa connaissance.
- Vous avez une idée?
Harry considéra le lieutenant noir américain. Il n'avait eu aucun mal à se mélanger aux autres militaires. Beaucoup ne se connaissait pas et l'ordre du jour n'était pas à la suspicion. Pourtant le regard perçant de Davidson le mit mal à l'aise. Cet homme était perspicace. Il lui faudrait agir en douceur, s'il ne voulait pas éveiller la curiosité.
- C'est possible... mais je ne suis pas certain d'avoir mon mot à dire.
- Ne le prends pas comme cela, toute aide est la bienvenue.
- Oui, c'est ce qu'à dit le capitaine, mais je ne pense pas que la solution soit entre nos mains. Seulement l’armée est trop fière pour s’en remettre au commun des mortels. Ce qu'il nous faut, c’est l’aide de tous, y compris des civils embarqués avec nous dans cette galère.
Il se tut mais le capitaine Andrews avait entendu la fin de la conversation. Sans aucune animosité il s'approcha d'Harry qu'il examina silencieusement. Harry ne broncha pas. Ses années passées dans le secret des Dieux lui avait au moins appris à rester maître de ses nerfs. Le capitaine sourit sans conviction à son nouvel homme de troupe.
- C'est bien ce que j'ai l'intention de faire. Je n'ai guère de choix. Toutefois, il faut rester prudent. N'oublions pas que deux hommes sont morts après avoir franchi une porte. Ce qui semble être notre salut peut tout à fait se révéler être la boite de Pandore!
Les soldats passèrent dans les rangs de la foule, cherchant des personnes pouvant aider dans la limite de leurs possibilités à trouver un moyen d’ouvrir la porte. Plusieurs hommes et femmes tentèrent leur chance en vain.
Deux heures s’écoulèrent sans aucun résultat.
Quelque part dans la foule, une personne fouilla son sac à dos à la recherche d’un peu d’eau. Tout comme les autres civils, elle avait scrupuleusement suivit les ordres de l'armée. La peur de l'inconnu avait fait perdre aux naufragés toute notion de temps mais aussi de faim et de soif. L'espoir nouveau leur avait fait reprendre conscience de leur état présent. Elle farfouilla son sac à la recherche d'une quelconque nourriture.
- Tiens, qu’est-ce que s’est ? se dit-elle alors que ses doigts venaient de toucher un objet inconnu.
Elle fouilla de plus belle et saisit l’objet qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Elle le tourna dans tout les sens, le manipulant sans trop de précaution.
Les scientifiques autour de la porte continuaient à s’affairer. Un clic se fit soudain entendre. Petit à petit, les deux battants de la porte se séparèrent. Tel un sas de décontamination, de la fumée s’en échappa.
Aveuglement.
Après la pénombre... la lumière. Aveuglante, brutale, froide... mais si réconfortante !
***
Civils et militaires regardaient la lumière sans savoir qu'elle faisait écran à une sorte de porte. Un cercle entouré de symbole...une porte sur un autre monde...
La bête aussi les regardait. Elle avait été créé pour empêcher quiconque de quitter
Le Phage et c'était bien ce qu'elle comptait faire !
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