12) Tigres bedonnants et Dragon
Ils s’avancèrent avec prudence. Tout faux pas pourrait leur être fatal désormais. Le roi rassembla ses chevaliers et leur dit à voix basse : « nous allons faire trois équipes de trois. Fesmol, Cervovid, et Queue, vous constituerez le premier groupe. Ivan, Laszlo, Pioncemal, vous serez le deuxième groupe. Cornedebouc, Beueurk, et moi serons le troisième et dernier groupe. Le premier groupe inspectera la salle du trésor. Le second la petite salle contiguë. Quand au troisième groupe, il patrouillera dans les couloirs et couvrira les arrières des deux premiers groupes. Allons y ! »
Fesmol, Cervovid et Queue prirent le chemin de la salle principale. Elle semblait encore plus remplie d’or que la fois précédente. Le dragon ne s’y trouvait pas. Il devait être parti faire sa ronde dans les innombrables tunnels qui menaient à son repère. Comme, avec leurs visières, ils n’arrivaient pas à voir plus loin que le bout de leur épée, ils retirèrent leurs heaumes et les posèrent sur le sol. Cervovid qui voyait comme une taupe qui a les yeux bandés chaussa ses culs de bouteilles. Il avait l’air aussi ridicule que d’ordinaire mais il voyait beaucoup mieux avec ; alors, au fond, il y gagnait. Ils fouillèrent chaque recoin de la pièce. Il y avait des rubis, des saphirs, des lingots d’or par milliers, des torques, des colliers, des vases d’ivoire, des épées, des lances, des boucliers de jade. Mais le saint grill- ils durent s’y résoudre- n’était pas dans cette salle.
Un puissant battement d’ailes se fit soudain entendre. « Le dragon », dit Fesmol, « planquons nous ! ». Cervovid plongea dans une jarre corinthienne dans laquelle il eut du mal à entrer étant donné la ronditude de son postérieur. Fesmol se réfugia sous un des grands boucliers de jade. Quant à Queue, il s’était dissimulé parmi de gros cailloux blancs et ronds, qui étaient disposés dans une espèce de nid basaltique. La dragon fit son entrée, et se dirigea tout droit vers Queue et se posa en douceur sur les cailloux blancs. Il ne remarqua pas la présence du chevalier. Rappelons que Queue était chauve. Le dragon l’avait pris pour un de ses œufs, abusé par la forme ovoïde et la blancheur de son crâne (ses collègues de la table immonde le surnommaient à son insu « face de lune »). Le monstre se roula en boule et s’assoupit.
Cervovid et Fesmol se risquèrent à jeter un regard en dehors de leurs abris, pour voir comment s’en sortait Queue. Ils virent que le dragon s’était assis sur le pauvre chevalier qui, d’une couleur tomate, suffoquait. Ils se décidèrent en un éclair. Ils devaient sauver leur compagnon. S’ils laissaient leur ami aux mains de la bête démoniaque, ils ne seraient plus dignes de siéger autour de la table immonde.
Ils sortirent les bras de leurs abris et commencèrent à ramper. Ils pourraient rentrer dans leurs carapaces dans le cas où le dragon se réveillerait. Le monstre croirait avoir rêvé. Et le tour serait joué. Cervovid contourna la montagne d’or et se rapprocha du nid du dragon. Fesmol, alourdi par son bouclier de jade, progressa moins vite que son acolyte. Le dragon fit un geste. Allait il se réveiller ? Les deux chevaliers qui, dans leur enfance avaient remporté un tournoi de un, deux, trois, soleil par équipe, s’immobilisèrent instantanément.
Le dragon ouvrit finalement les yeux et vit nos deux compères. Il crut avoir la berlue. Qu’est ce que cette tortue géante et ce bulot bizarre fichaient dans sa tanière ? On n’était pas près de la mer pourtant. Mais son ventre le tenaillait quelque peu, et ces bestiaux avaient l’air bien juteux. Il abandonna temporairement son nid pour aller taquiner la grosse tortue marine. Il tourna autour du bouclier, reniflant longuement, et décida que Fesmol n’avait pas dépassé la date de consommation.
Il tenta de soulever le bouclier de ses pattes avant, mais Fesmol les lui écrasait. Le dragon fulmina et pensa que cette tortue était décidément singulière. Il parvint finalement à ses fins et glissa sa tête cornue sous le bouclier. Fesmol en profitant pour lui mettre un grand coup de poing sur le museau. Le dragon hurla de douleur, mais ne lâcha pas prise. Pendant ce temps, Cervovid s’était glissé dans le nid et en sortit Queue. Malheureusement, il fit tomber un œuf du dragon, qui se brisa sur le sol avec fracas. Craaaaaaaaaaaac !
Le dragon se retourna subitement, laissant Fesmol sous son bouclier. Il vit Cervovid porter Queue. « Depuis quand les bulots mangent les œufs de dragons » se demanda le monstre. Il poussa un hurlement puissant et suraigu qui résonna dans tous les tunnels à la ronde. « Il n’en était pas question. On ne lui volerait pas ses œufs. Son honneur de dragon le lui commandait ». Il rampa en sifflant jusqu’à Cervovid. Mais, pendant que le dragon cogitait, Fesmol avait eu le temps de sortir de sa cachette et d’aller chercher son épieu, dont la pointe avait été durcie au feu. Il se rappela les conseils du maître qui lui avait enseigné à se défendre contre les forces démoniaques : « le point faible du dragon, c’est le siège ! Souviens t’en, Fesmol ! Cela pourra te sauver la vie un jour, si tu deviens chevalier. » Jamais Fesmol n’aurait cru avoir à se servir de ce conseil. Il piqua le cul du dragon avec son épieu. Celui-ci mugit aussi fort qu’un troupeau de deux cent vaches, s’éleva dans les airs et s’enfuit. Queue reprit connaissance. Ils décidèrent de sortir de la pièce : le saint Grill ne s’y trouvant pas, ils n’avaient aucune raison de rester. Ils allèrent à la rencontre de Beueurk, Cornedebouc et du roi.
Pendant ce temps, Ivan, Laszlo et Pioncemal étaient dans la salle contiguë à la caverne au trésor. Ils étaient tombés sur l’âne et le monstre vert. Ils avaient repéré le saint Grill. Mais l’ogre ne comptait pas leur laisser prendre le saint Grill. Il avait préparé un barbecue et avait mis des saucisses et des côtelettes à cuire. Les trois chevaliers se préparèrent au combat. Mais le tandem ennemi était redoutable. Tandis que l’ogre cherchait à leur faire des prises de catch, l’âne leur courait autour en leur racontant des blagues pour les déconcentrer. Au bout d’un quart d’heure de combat, les trois chevaliers avaient perdu leurs épées. L’ogre les leur avait piquées et avait promis l’insigne honneur d’en faire des broches sur lesquelles Ivan, Laszlo, et Pioncemal seraient rôtis, lorsqu’il aurait remporté la victoire. Quant à leurs boucliers, il en ferait des assiettes pour le dragon et lui même. Nos trois compères avaient toutes les peines du monde à se concentrer sur le combat. L’âne avait terminé ses blagues sur le pape et ses caleçons, sur les maris cocus, et commençait à chanter la série des bali balo….
L’ogre assomma Ivan, que l’on surnommait pourtant « le terrible », et attrapa Laszlo avec un bout de corde qui était terminé par un nœud coulant. Cette corde entravait tout mouvement. Il ne restait plus face à l’ogre et l’âne que Pioncemal. Les trois combattants tournaient les uns autour des autres comme dans les westerns de Sergio Leone. L’ogre attendait que Pioncemal baisse sa garde afin de le neutraliser. L’horrible bourricot entama De Profundis Morpionibus. Pioncemal ne put se retenir plus longtemps et éclata de rire. L’ogre en profita pour lui attraper les jambes. Il tourna plusieurs fois sur lui-même, tenant le chevalier par les pieds et le projeta contre la paroi de la salle. Mais Pioncemal- dont nous avons déjà dit qu’il avait un fort gros ventre- rebondit et repartit en sens inverse. Il heurta en plein visage l’ogre qui s’écroula comme un sac de patates. Pioncemal, s’étant remis sur ses pieds, tapotait son ventre d’un air satisfait. Il commença par museler l’âne. Ensuite, il libéra Laszlo. Il réveilla Ivan en lui donnant des gifles.
Laszlo et Ivan se dirigèrent vers la sortie. Laszlo se retourna et dit à Pioncemal : « Prenez ce que nous sommes venus chercher et allons y ! ». Ils virent le chevalier sortir un grand sac marron et y fourrer le grill précautionneusement.
Beueurk, Cornedebouc, et Rature étaient arrivés dans une grotte extrêmement vaste, au milieu de laquelle se trouvait un lac. Et au milieu du lac se trouvait une île. Ils entendirent un bruit dans l’eau et dégainèrent leurs épées. Ils virent s’avancer une petite embarcation, propulsée par les pieds palmés d’une créature rachitique. La frêle embarcation s’arrêta à la hauteur de nos trois amis et la créature sauta à terre. Celle-ci regarda longuement le roi et ses chevaliers, puis se passa la langue, blanche et râpeuse, sur les lèvres. Rature frissonna.
- « Gouloun vous souhaite la bienvenue dans son antre, mes trésssssssors.
- Heu…Beeeen… Merci! » dit Rature
- « Gouloun s’est senti bien seul durant ces dernières centaines d’années, mes tréssssors. Oh oui ! Vraiment très seul ! Pauvre pauvre Gouloun ! »
La créature se mit à pleurer.
-« Voyons, Gouloun », dit Rature, « soyez un homme ! »
- « Oooh ! Gouloun parie que mon trésssssssor est un homme, un vrai. Gouloun aime les hommes virils et courageux. Mon tréssssor est courageux, n’essssst ce pas ?
- Certes, je le suis ! Et pour l’amour du ciel, cessez de siffler comme ça ; on dirait un vieil asthmatique ! » dit Rature d’un ton agacé.
-« Oh oui ! Mon tréssssor est courageux. Mon tréssssor veut il habiter ici et partager ma couche ? Cela fait tellement longtemps que Gouloun n’as plus de compagnon !
- Pardieu, monsieur ! Je ne suis pas sodomite.
- Gouloun est une parfaite femme au foyer, mon tréssssor.
- Ecoutez ! Ma femme a beau être frigide, je suis sur de préférer ses caresses aux vôtres.
- Gouloun va vous poser des énigmes. Si mes trésssssssors répondent, Gouloun leur montrera la sortie. S’ils ne répondent pas, ils resteront vivre avec Gouloun.
- Pardieu, non, monsieur ! », dit Cornedebouc, qui avait suivi des cours de psychanalyse à la faculté de Lutèce, « Vous êtes un obsessionnel du cul ! Ce n’est pas possible autrement. Vous n’en êtes même plus au stade du refoulement, mon ami. Vous êtes complètement psychopathe. Suivez une thérapie !
- Mon tréssssor ne peut plus. Il n’est pas remboursé car il a perdu sa carte verte. Oh, pauvre Gouloun ! »
Et il se roula par terre, en poussant des vagissements de crocodile. Cornedebouc lui promis de le mettre en relation avec un médecin de sa connaissance qui ne faisait pas payer ses patients. L’œil embué de larmes, Gouloun leur montra la sortie en signe de gratitude.
Revenant sur leurs pas, Rature, Cornedebouc, et Beueurk croisèrent Queue, Fesmol, Cervovid, Ivan, Laszlo, et Pioncemal. Ils prirent ensemble le chemin du retour.
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