Comme toujours, ils savent retourner leur veste quand il faut !
F-35 : le coup de poignard britannique
Challenges,
Elles étaient belles, les promesses du traité de défense franco-britannique de Lancaster House, signé en novembre 2010. Avec cette nouvelle étape dans l’Entente cordiale, juré-craché, on allait voir ce qu’on allait voir : une force expéditionnaire commune interarmées ; des porte-avions interopérables dans les deux pays, grâce au choix britannique de se convertir aux catapultes ; un drone de surveillance MALE (moyenne altitude longue endurance) commun ; une collaboration plus poussée dans le domaine des missiles, de la dissuasion, des satellites, des sous-marins, de la guerre des mines, de la R&T.
Dix-huit mois plus tard, quel bilan tirer ? Beaucoup de palabres, quelques avancées indéniables, notamment dans les missiles. Pour le reste, le tableau est éloquent : BAE cogne à bras raccourci sur le consortium Rafale en Inde après la sélection du chasseur français par New Delhi. « On n’a jamais vu une telle violence », assure un proche du consortium. Le projet de drone franco-britannique, pour parler clairement, est au point mort : le Royaume-Uni apparaît peu motivé, au point d’envisager de lancer une compétition impliquant aussi le Talarion d’EADS et l’Avenger (successeur du Reaper) de l’américain General Atomics. Des pressions se font jour pour que le projet franco-britannique intègre aussi l’Allemagne et l’Italie, via EADS et Finmeccanica.
Le Royaume-Uni a porté hier un nouveau coup de canif –ou de poignard- aux accords de Lancaster House en choisissant de revenir à son projet initial de commander la version à décollage vertical (STOVL, pour « short take-off and vertical landing ») du chasseur F-35 de Lockheed Martin, dite F-35B, également choisie par le corps des Marines. Que signifie concrètement cette décision ? Londres renonce ainsi à sa commande de F35-C, la version catapultée du chasseur américain choisie par l’US Navy, ce qui enterre définitivement toute possibilité d’accueillir des Rafale sur le futur porte-avion britannique HMS Queen-Elisabeth, ce dernier étant dépourvu de catapultes. Bref, plus d’interopérabilité avec la France, contrairement à la lettre et à l’esprit du traité.
Pour justifier son choix, Londres brandit l’argument financier : le coût de conversion des deux porte-avions à une architecture à catapulte aurait doublé à deux milliards de livres (2,5 milliards d'euros) par rapport à l'estimation initiale. Un coût inconcevable en période de disette budgétaire, d’où le retour au F-35B, que Londres avait pourtant abandonné en 2010. « L’autre solution était d’acheter des Rafale Marine, moins chers et immédiatement disponibles ! », plaisante à peine un spécialiste de la défense français. Ce qui supposait quand même de modifier les navires britanniques.
Techniquement, le choix du F-35B pose question : il emporte moins d’armes et a une portée moindre que le F-35C. L’absence de catapultes interdit l’accès aux porte-avions britanniques des chasseurs français, mais aussi des avions américains, excepté ceux des Marines. Il semble que les soucis récurrents de développement du F-35C ait balayé ces arguments.
Ce coup dur n’est qu’un nouvel exemple des dégâts causés par le F-35, ou JSF, dans l’industrie de défense européenne. Le programme avait déjà siphonné les budgets de R&D en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Italie, au Danemark, ou en Norvège. 8 milliards de dollars, assure Dassault. Il s’est en plus révélé un casse-tête technologique, dont la mise en service a été reportée à plusieurs reprises, et un gouffre financier pour les Etats-clients. Le coût unitaire de l’appareil a doublé en dix ans, de 81 millions de dollars à 162 millions, coûts de développement inclus, selon le GAO, l’équivalent américain de la Cour des comptes.
Entre Londres et Paris, un avion incompatible
(Figaro)
Cameron a opté pour une version du chasseur américain JSF qui ne peut pas se poser sur les porte-avions français.
Après des mois d'hésitation, le gouvernement britannique a donc fait volte-face et changé d'avion de combat pour ses porte-avions. Entre le F 35 B et le F 35 C, tous deux fabriqués par Lockeed Martin, une seule lettre de différence. Mais un écart financier et des conséquences à long terme pour la coopération navale entre Londres et ses alliés.
Le ministre de la Défense, Philip Hammond, a annoncé sa décision d'acquérir la version B du chasseur américain, à décollage vertical, moins chère, au détriment de la version C, qui fonctionne à l'aide de catapultes, utilisées par les marines américaines et françaises. David Cameron avait pourtant défendu il y a deux ans le choix du F 35 C, au nom de «l'interopérabilité» entre alliés. Concrètement, ce changement de cap signifie que les Rafale ne pourront pas se poser sur les deux nouveaux porte-avions britanniques qui seront livrés aux alentours de 2020. Et que les F 35 B ne pourront pas atterrir sur le Charles-de-Gaulle.
Londres a justifié son choix par les retards du programme JSF (Joint Strike Fighter) et la hausse des coûts, qui tombe mal en période de crise. «La décision prise en 2010 était légitime à l'époque, mais les faits ont changé et nous devons changer notre approche en conséquence», a affirmé le ministre de la Défense. Le F 35 C, qui avait la préférence des militaires, n'aurait pas pu être fourni à la Royal Navy avant 2023, trois ans après le lancement du premier porte-avions. Difficile d'imaginer que ce bâtiment, symbole de souveraineté, reste au garage en attendant d'être équipé de ses avions.
Traité de Lancaster
A court terme, les conséquences sont à peine visibles, les porte-avions britanniques n'étant pas encore opérationnels. A long terme, c'est une autre histoire. «Au niveau militaire, c'est un choix qui engage la Grande-Bretagne pendant trente à cinquante ans. Or la version B du F 35 a moins de portée», explique Étienne de Durand, directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri, l'Institut français des relations internationales. Pour le ministère français des Affaires étrangères, la décision britannique «risque de limiter la coopération aéronavale» entre Londres et Paris. Ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour la France, qui pour des raisons budgétaires a renoncé à un deuxième porte-avions et ne peut compter que sur le Charles-de-Gaulle, fréquemment indisponible, comme le sont tous les bâtiments de ce type. L'accord de Lancaster prévoyait une «capacité à déployer une force aéronavale d'attaque intégrée franco-britannique». Celle-ci paraît désormais compromise, au moins à moyen terme.
C'est enfin un mauvais message adressé à la France, en pleine transition politique. Nicolas Sarkozy et David Cameron avaient mis beaucoup d'ardeur à sceller les accords de Lancaster en novembre 2010. François Hollande a laissé entendre qu'il ne remettrait pas en cause le traité. Mais il faut, pour le faire vivre, de l'énergie des deux côtés. À l'origine de Lancaster, la crise et les restrictions budgétaires sont-elles devenues un frein au rapprochement?