Avec Ariane 6, l'Europe écrit un nouveau chapitre de son histoire spatiale
Le Fg - le 02/12/2014 à 17:04
Les pays membres de l'ESA ont conclu un accord historique pour la construction d‘un nouveau lanceur. Le budget prévisionnel est de 3,8 milliards d'euros sur dix ans. Un nouveau pas de tir sera construit à Kourou.
Ariane 6 est enfin sur de bons rails. Réunis en conférence ministérielle au Luxembourg, les 20 pays membres de l'Agence spatiale européenne (ESA) et le Canada ont officiellement lancé mardi le développement du futur lanceur européen destiné à remplacer Ariane 5 pour un coût total de 3,8 milliards sur dix ans. Cette décision, annoncée par la ministre de la Recherche, Geneviève Fioraso, qui a joué un rôle très important dans ce dossier, n'est pas une surprise.
L'Allemagne, qui rechignait à entériner ce projet cher à la France, avait fini par se laisser convaincre mi-novembre. Elle a ainsi accepté en fin de semaine dernière de rallonger de 60 millions d'euros annuels sa contribution au budget «lanceurs» pour atteindre les 22% requis. La France finance elle 50% des 800 millions d'euros annuels dont la moitié sera consacrée à Ariane 6 (l'Italie 12% et l'Espagne, qui a souhaité augmenter sa participation, 6% environ).
«Le climat enthousiaste après la réussite de l'atterrissage de Philae sur la comète a été très bénéfique aux négociations», note Geneviève Fioraso. L'enjeu est stratégique: il s'agit d'assurer à l'Europe un accès indépendant à l'espace. Car l'arrivée en 2013 sur le marché de l'entreprise américaine SpaceX a bouleversé l'écosystème de l'industrie spatiale. Soutenue par de gros contrats passés avec la Nasa pour le ravitaillement de la Station spatiale internationale, la société propose une offre à coût réduit (60 millions d'euros), pour le lancement d'un satellite de 5 tonnes en orbite géostationnaire (GTO, très utilisée en télécommunications).
Un design repensé cet été
À 160 millions le lancement double (deux satellites de 5 tonnes chacun), Ariane 5 peut encore s'appuyer sur sa réputation de fiabilité pour rivaliser. Les 62 derniers lancements ont été une parfaite réussite. Mais sa situation est précaire. SpaceX est en train de développer un lanceur lourd, Falcon Heavy, capable d'emporter une charge utile totale de 20 tonnes en GTO pour moins de 100 millions d'euros! Le premier vol est prévu en 2015.
Dans ce contexte, la solution envisagée à Naples en 2012 d'une version améliorée d'Ariane 5 (baptisée ME pour Midlife Evolution) disposant d'un moteur réallumable pour le deuxième étage, ce qui permettait à Arianespace d'étoffer son offre, ne semblait pas suffisante. «Il fallait prendre un risque pour passer directement à un nouveau lanceur, plus modulable et moins cher», explique Geneviève Fioraso. La mise sur pied du Cospace, un comité de concertation État Industrie réunissant l'Agence spatiale française (Cnes), les industriels (Airbus, Safran, Thalès…), Arianespace (commercialisation du lanceur) et les futurs clients, a permis cet été d'aboutir à un compromis technique. L'idée initiale de l'ESA et du Cnes, basée uniquement sur des propulseurs à poudre, plus économiques, a été abandonnée.
Un changement dans la continuité
La «nouvelle» Ariane 6 reprend ainsi le moteur principal Vulcain II d'Ariane 5, et le moteur réallumable Vinci de l'étage secondaire conçu pour Ariane 5 ME, tous deux à carburant liquide refroidi. Un changement dans la continuité. Voulue par les industriels, cette solution a aussi eu le mérite de convaincre l'Allemagne, historiquement plus conservatrice que la France dans le spatial. Ce design permettait notamment d'assurer des activités à haute valeur ajoutée à l'entreprise OHB implantée dans la très puissante région bavaroise. Les boosters à poudre, fabriqués en Italie, ont quant à eux été réduits de moitié - 120 tonnes - et seront communs à la nouvelle version du lanceur léger Vega (Vega-C, lui aussi validé à l'occasion de cette conférence).
La version à deux boosters, Ariane 62, est plutôt conçue pour les lancements institutionnels, qu'ils soient scientifiques, civils ou militaires. L'Europe en garantit cinq par an aux industriels, instituant au passage un principe de «préférence européenne». Les industriels s'engagent eux sur un prix maximal de 70 millions d'euros. La version à visée purement commerciale, Ariane 64, possède elle quatre boosters qui lui permettront d'emporter deux satellites de 4,5 tonnes chacun en GTO. Elle devrait coûter environ 115 millions d'euros.
Plus haute que sa petite sœur, «ce qui permet de simplifier quelques éléments, comme le moteur réallumable dont la tuyère n'aura plus besoin d'être déployée en vol», explique-t-on de source proche du dossier, Ariane 6 nécessitera la construction d'un nouveau pas de tir à Kourou, en Guyane. Ce coût, 400 millions d'euros, est inclus dans le budget prévisionnel. Ariane 5 pourra ainsi continuer à décoller en attendant la relève. Un détail loin d'être négligeable.