
Gabrielle se tenait debout au milieu d’une pièce blanche, aux murs de lumière. Daniel était à ses côtés. Elle ignorait où elle se trouvait, tout comme elle ignorait depuis combien de temps Chaya les avait amené devant le Haut Conseil des Anciens.
Gabrielle ne les aimait pas. Depuis son arrivée devant eux, elle n’en avait vu aucun. Elle les percevait devant elle, sous leur forme originelle, mais aucun ne s’était matérialisé. Elle n’avait pu leur attribuer de visage, et cela lui avait fortement déplu. Ils n’avaient pas confiance. Elle les soupçonnait même d’avoir peur. L’inconnu était ce qui effrayait la plupart des êtres vivants. Les Anciens n’échappaient pas à cette règle.
« Avez-vous pris une décision ? demanda Daniel en s’adressant au Conseil. »
Il paraissait calme et rassurant. Gabrielle ne le regardait pas, mais elle sentait émané de lui une assurance et un sentiment de bien-être puissants. Mais cela non plus ne lui plaisait pas. Daniel avait tellement changé depuis que leur entretien avec les Anciens avait commencé. C’était comme s’il était redevenu ce qu’il avait été durant son Ascension. Un être pur mais froid.
« Oui.
- Et quelle est-elle ?
- Vous devrez vous soumettre aux règles et aux lois de notre peuple. Tous les deux. Votre liberté est à ce prix.
- Nous nous y soumettrons. »
Gabrielle se tourna vivement vers lui, indignée.
« Daniel !!! Si nous nous y soumettons, nous ne pourrons pas porter notre aide à Atlantis, ni à ceux restés sur Terre !!!
- Et si nous restons ici, sans liberté, comment les aiderons-nous ? »
Il continuait à fixer un point devant lui. Il ne lui jeta même pas un regard. Son ton était sec et sans chaleur. Une voix semblable à celle des Anciens qui les avaient jugé. Car, contrairement à ce qu’avait cru et affirmé Chaya, la convocation des Anciens n’avait pas eu pour but d’entendre l’appel à l’aide des Terriens. Le Haut Conseil s’inquiétait de l’évolution soudaine de la seconde génération de leur race. Ils voulaient simplement déterminer quels êtres avaient été engendrés par le Fléau.
Dépitée, Gabrielle regarda à nouveau face à elle. Daniel avait tort : quelle liberté leur restaient-ils s’ils devaient se soumettre aux lois Anciennes ?
« Ce n’est pas tout, continua la voix grave et glaciale de l’Ancien. Nous vous interdisons d’aider un quelconque être vivant à évoluer vers votre nouveau plan d’existence, tant que nous n’en aurons pas décidé autrement. »
Daniel acquiesça silencieusement. Gabrielle sentit les larmes lui monter aux yeux. Cet entretien n’était qu’une vaste mascarade. Elle avait tant espéré de cette rencontre avec les Anciens, mais l’espoir s’éteignait dans son cœur. La sagesse des Anciens lui échappait totalement. Elle avait refusé l’Ascension que lui avait offert Chaya, justement pour échapper à une vie d’observation et d’impuissance. Elle avait proposé l’évolution à Daniel car lui-même avait fini par rejeter un tel mode de vie. Et elle avait cru qu’il l’aimait. Elle n’avait pas voulu le perdre. Mais elle doutait à présent de son geste, car il la ramenait inexorablement et sûrement vers ce à quoi elle avait voulu échapper.
La jeune femme ferma les yeux, et serra les poings. Elle ne voulait plus les voir. Ni lui, ni eux. Partir loin d’eux, et de leurs lois insupportables. Partir là où elle trouverait enfin quelqu’un pour l’écouter et l’approuver.
La lumière qui l’entourait déclinait peu à peu, sans qu’elle y fasse attention. Elle se trouvait à présent en elle, face à une étendue infinie, faite de ténèbres et d’étoiles. Elle s’y sentit bien. C’était la première fois qu’elle parvenait à contempler ce qu’elle était devenue. Jusqu’alors, elle n’avait ressenti sa nouvelle nature que par le regard et les sensations de ceux qui l’entouraient. Mais bien que ce qu’elle voyait lui faisait prendre conscience de ce qu’elle était, son esprit encore naissant n’en percevait que faiblement les limites.
« Gabrielle… »
Était-ce une voix qu’elle avait perçu ? Peut-être était-ce Daniel ou l’un des membres du Haut Conseil qui l’appelait ainsi…
Elle voulut ouvrir les yeux, mais quelque chose en elle lui souffla de rester encore un peu. Quelque chose la cherchait… La voix qu’elle avait entendue.
« Gabrielle… »
La jeune femme essayait vainement de discerner la provenance de cette voix. Elle lui était familière, bien qu’elle ne l’ai entendu que peu de fois dans sa vie d’avant. Car cette voix, jusqu’alors, elle ne l’avait perçu que lorsqu’elle était encore humaine, et que son esprit était prisonnier d’une enveloppe physique. Des sensations et des souvenirs lui revinrent. La voix… elle ne l’avait perçue que durant ses longues périodes d’inconscience. Lorsqu’elle s’était battue contre le Fléau. Lorsqu’elle avait été blessée par les wraiths. Et lorsqu’elle avait sauvé Daniel de la mort.
Cette voix, c’était la voix de la lueur qui l’avait guidée lorsqu’elle avait failli mourir sur Atlantis. Mais autant cette voix lui avait paru forte et proche lorsqu’elle avait été sur la cité des Anciens, autant à présent et lorsqu’elle s’était battue contre le Fléau, elle lui avait semblé faible et lointaine.
« Gabrielle… »
La jeune femme lui répondit. Mentalement. Oui, elle l’entendait. Que voulait-elle ?
Soudain elle aperçut la lueur, au milieu des étoiles et des ténèbres de ce qu’elle était. Mais elle avait l‘air si fragile…
« Gabrielle… J’ai eu tant de mal à te trouver… »
Elle n’était pas effrayée, bien au contraire. Elle sentait, elle savait qu’elle pouvait avoir confiance en la lueur.
« Gabrielle… Tu dois leur montrer la voie… C’est à toi de le faire… »
La lueur s’agitait devant elle, à mesure qu’elle s’approchait et devenait plus visible, plus lumineuse. Elle virevoltait au milieu des étoiles et des ténèbres. L’attention et la confiance de la jeune femme semblaient la faire revivre.
« Vois et écoute… Vois et apprends… »
Une onde d’énergie s’échappa de la lueur, et pénétra dans l’esprit de Gabrielle. Une foule d’images se succédèrent, sans ordre apparent. Mais la jeune femme les reconnut toutes, bien que certaines lui soient totalement étrangères. Elle vit la cité d’Atlantis protégée par son bouclier, plongée dans une attente et un espoir silencieux, elle reconnut la salle de briefing autour de laquelle s’étaient réunis les membres-clés de la cité, puis une foule de visages défilèrent : humains, jaffas, asgards, tok’ra, noxs, et même furlings. Gabrielle sourit à cette dernière image inattendue.
« Tu as vu et tu as appris… Enseigne-leur… L’heure est venue de corriger mes erreurs… »
La lueur s’éteignit brusquement, la laissant seule au milieu des étoiles et de l’obscurité de son être. Son esprit, d’abord confus, avait vu, appris, et à présent comprenait.
Gabrielle ouvrit les yeux. Combien de temps avait-elle ainsi erré dans son âme ? En tout cas, suffisamment longtemps pour que certains des Anciens du Haut Conseil l’aient remarqué. Elle sentit un trouble les agiter… et de la frayeur aussi.
« J’accepte de me soumettre à vos lois à une seule condition, dit-elle d’une voix qu’elle espérait ferme.
- Vous ne pouvez nous imposer de condition.
- Une condition, ai-je dit. Une seule. Vous avez refusé d’écouter notre requête, et je ne vous laisserais pas m’enlever ma liberté sans contrepartie.
- Nous ne vous enlevons pas votre liberté. Nous voulons vous protéger de vous-même. Il est dangereux de laisser des êtres disposer sans limite de pouvoirs tels que ceux que vous offre votre nouveau plan d’existence.
- J’ai dit une condition, une simple et unique condition, pour me voir me soumettre à vos règles. Je ne demande rien d’autre. »
Malgré le silence qui accueillit ses paroles, elle savait que le Haut Conseil délibérait. Ils n’avaient pas besoin de parler pour cela.
« Nous vous écoutons, finit par se faire entendre l’un des Anciens.
- Vous avez rejeté notre demande d’aide pour les Terriens.
- C’est exact. Et le Haut Conseil maintient sa décision.
- Je souhaiterais réitérer cette demande…
- Gabrielle ! Cela suffit ! »
La jeune femme ignora superbement l’ordre de Daniel.
« Je souhaiterais réitérer cette demande, répéta-t-elle. Mais cette fois-ci au nom de tous les peuples de la Voie Lactée, et non au simple nom des Terriens. »
Un nouveau silence accueillit sa demande.
« Pensez-vous que cela modifiera notre réponse ?
- Il serait absolument impensable que ce ne soit pas le cas.
- Ah non ? Et pourquoi cela ?
- Parce qu’en posant une telle requête au nom de l’ensemble des peuples de la Voie Lactée, ce n’est plus simplement devant les Terriens que vous aurez à répondre.
- Nous ne voyons toujours pas objet à modifier notre réponse, d’autant que vous vous faîtes la porte-parole de peuples dont vous ignorez tout, et surtout l’opinion face aux Oriis.
- C’est sur ce point que je voulais vous faire réfléchir justement.
- Expliquez-vous.
- Je m’adresse à vous au nom de tous les peuples de la Voie Lactée, mais il est exact que j’ignore leur position quant à la menace représentée par les Oriis. Cependant, si leurs opinions rejoignent celle des Terriens, cela prouverait clairement à quel point les Oriis représentent un danger pour notre galaxie. Et dans ce cas, vos appréhensions quant au fait d’intervenir seraient sans valeurs. Vous vous dites sages et avisés, mais quel peuple seriez-vous si vous laissez les Oriis anéantirent et soumettrent une galaxie entière ?! »
De nouveau, le trouble gagna le rang des Anciens. Gabrielle avait touché la corde sensible : les Anciens se refusaient d’intervenir dans la destinée d’un seul et unique peuple, par peur des conséquences d’un tel acte. Mais quel poids avait une telle loi lorsqu’il s’agissait de l’avenir d’une galaxie ? De plus, les paroles de Gabrielle sous-entendaient, rappelaient une erreur qui avait failli s’avérer fatale pour les Anciens : les wraiths… En refusant de corriger une erreur qu’ils avaient commises en introduisant la vie sur l’une des planètes de Pégasus, ils avaient subi les contrecoups de leurs actes. N’était-ce pas ce qui se passait avec les Oriis ?!
« Pour accéder à votre requête, il nous faudrait connaître l’avis de chaque peuple concerné. Une Commission extraordinaire sera donc créée dans ce but, tel l’a décidé le Haut Conseil des Anciens. Cette Commission devra réunir les représentants de chaque grand peuple de la galaxie menacée.
- Je vous remercie. Je me soumettrais donc à vos lois.
- Cette Commission extraordinaire devra être organisée sur la cité d’Atlantis, et aura lieu d’ici trente-trois jours terrestres. D’ici là, Daniel Jackson et vous, Gabrielle, serez chargés de trouver et de rassembler chacun des représentants. Chaya vous secondera, et s’assurera du strict respect de nos lois. Vous devrez également créer une délégation humaine, choisie parmi l’ensemble des peuples humains de la galaxie, afin d’être certains du choix et de l’avis de chacun. Une délégation Ancienne sera également créée, afin d’assister et de présider cette assemblée. Durant cette Commission, vous n’aurez pas le droit d’intervenir, à aucun moment, est-ce clair ? Vous pourrez observer, rien de plus. »
Gabrielle se contenta d’acquiescer. Elle avait vu, écouté, appris et enseigné.