voilà voilà :
ciel et espace : Pourquoi faut-il sauver la nuit ?
Hubert Reeves : une des raisons les plus importantes, à mon avis, est d'ordre émotionnelle. L'humanité a toujours vécu en contact avec le ciel nocturne, avec la Voie lactée, avec les étoiles. L'émotion que l'on ressent devant une belle nuit, cette impression profonde de l'au-delà, cette communion avec l'espace est en train de disparaître. Il ya beacoup de mômes des banlieues qui ne voient plus jamais le ciel nocturne... (ensuite, voir premier post

).
ciel et espace : On coupe l'homme du cosmos ?
H.R : Et cette coupure est un appauvrissement. Un manque.....C'est difficile de mettre des mots sur cette absence, elle n'est pas mentale. On prive l'être humain
d'une grande émotion, une émotion ancestrale, celle que l'on éprouve face à une très belle nuit. A la limite du religieux ! Il y a quelque chose de sacré dans ce contact avec le cosmos. Je n'y mets pas d'étiquette, Dieu, Yahvé ou autre. C'est intérieur, de l'ordre du ressenti. On a perdu la nuit.
Ciel et espace : Cette raison d'ordre émotionnel dans l'économie de marché ne pèse pas lourd...
H.R : Oui, mais le gaspillage d'énergie est un motif plus terre-à-terre, qui devrait pousser les décideurs à sauver la nuit. La lumière que nous envoyons dans le ciel est absolument perdue et l'énergie égarée équivaut à plusieurs réacteurs nucléaires. Des gigawatts de lumière que nous émettons en permanence vers le ciel en pure perte. C'est énorme alors que l'on sait qu'une crise énergétique majeure nous guette avec la fin du pétrole, du charbon et du gaz....Que de lumières inutiles, placées là ou elles ne servent à rien ! Sur les photos prises de nuit par satellite, on voit les contours des continents briller.
Ciel et espace : Concernant les animaux...
H.R : Les animaux s'adaptent assez rapidement. Les migrateurs, si on éteignait les lumières, pourraient se réorienter. Pour l'heure, on s'est aperçu qu'ils perdent leur route. A Shanghai, le gouvernement a déjà décidé de baisser les lumières pour empêcher l'hécatombe des oiseaux. Aux USA, on va éteindre les gratte-ciel après une certaine heure. Un peu partout, ça se fait ; on ne veut plus laisser les bâtiments allumés toute la nuit. C'est un reflexe nouveau. Il y a cinquante ans, tout le monde était euphorique pour l'avenir. On n'avait aucune conscience des dangers. Et tout d'un coup, on a réalisé que l'on avait franchi une limite, qu'il y avait des risques inhérents à ce manque de vigilance, qu'il fallait faire attention à la pollution lumineuse.
Ciel et espace : Dans "mal de terre", vous annoncez que la sixième extinction est déjà en marche ?
H.R : Avec le réchauffement planètaire, la pollution généralisé, l'épuisement des réserves, la suppression de la nuit noire, l'érosion de la biodiversité, on va droit dans le mur. La question se pose : est-ce que l'humanité va passer à l'as ou non ?
Ce qui est sûr, c'est que si nous continuons sur la même voie, c'est fichu, nous disparaissons. La solution alternative pour laquelle nous nous battons est que l'humanité prenne son sort en main et réussisse à survivre à la sixième extinction.
Ciel et espace : Vous croyez vraiment que la disparition de la nuit est à l'origine du désastre annoncé ?
H.R : Non. Je pense que la question de la nuit n'est pas parmi les plus graves. On peut vivre sans nuit. Mais on a une vie appauvrie, une vie au rabais.
Si vous avez des questions...