Au final, qu'il y ait intervention internationale ou pas, le résultat reste le même...
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En première ligne dans le combat contre le régime syrien, le Front djihadiste Al-Nosra a prêté allégeance mercredi au chef d'Al-Qaida...
"70 000 morts selon l'ONU"
La fulgurante ascension du Front Al-Nosra en Syrie
Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 10.04.2013 à 21h10
Une nouvelle étape de la jeune histoire du groupuscule salafiste djihadiste Jabhat Al-Nosra ("Le Front de soutien") a été franchie, mercredi 10 avril. Son chef, Abou Mohammed Al-Golani, a reconnu le 10 avril l'appui militant et financier apporté par Al-Qaida en Irak qui "a approuvé le projet proposé par Al-Nosra pour venir au secours de nos frères opprimés en Syrie et nous a donné une partie de l'argent de l'Etat islamique d'Irak". L'émir a toutefois nié les déclarations faites la veille par le chef de l'Etat islamique d'Irak, Abou Bakr Al-Baghdadi, qui a annoncé qu'il était "temps de proclamer aux Levantins et au monde entier que le Front Al-Nosra est en réalité une branche de l'Etat islamique d'Irak". Agacé par l'annonce des djihadistes irakiens de créer un Etat islamique d'Irak et du Levant englobant Al-Nosra, Abou Mohammed Al-Golani a jugé que cette déclaration était prématurée.
Pour s'en démarquer, il a renouvelé, dans un message audio diffusé sur Internet mercredi, son allégeance à Al-Qaida central. "Les fils du Front Al-Nosra renouvellent leur engagement auprès du cheikh du djihad Ayman Al-Zawahiri et lui déclarent obéissance", a déclaré Al-Golani. "Nous avions reporté l'annonce d'adhésion [à Al-Qaida] en raison de la particularité de la Syrie", a-t-il dit en soutenant que ce report avait été décidé en concertation avec d'autres factions islamistes. "En tout cas, l'Etat islamique en Syrie sera construit par tout le monde, sans exclusion d'aucune partie ayant participé au djihad et au combat en Syrie", a-t-il martelé.
Devenu un acteur majeur du conflit syrien, Jabhat Al-Nosra a vu le jour en janvier 2012, dans une vidéo reprenant l'imagerie des productions estampillées Al-Qaida. On sait alors peu de choses de ce groupuscule sunnite et de ses mystérieux combattants qui appellent au "djihad" contre le régime "apostat" de Bachar Al-Assad et à l'instauration d'un Etat islamique en Syrie.
Rapidement, ils se singularisent par un mode d'action inédit — les attaques-suicides et attentats à la voiture piégée — et une rhétorique anti-occidentale et surtout anti-chiite. "Ce groupuscule a nourri pas mal de soupçons quant au fait que ça pouvait être, à l'origine, une manipulation du régime syrien pour décrédibiliser la rébellion syrienne", commente Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l'université d'Edimbourg (Ecosse). Des rumeurs qu'alimentent certaines similitudes entre les méthodes employées par la Jabhat Al-Nosra et Al-Qaida en Irak, qui a combattu l'occupation américaine entre 2003 et 2011 grâce à l'afflux de djihadistes ayant pu passer la frontière syro-irakienne avec la bénédiction du régime syrien.
Un combattant du groupe
UN GROUPE VISIBLE ET STRUCTURÉ
En six mois, le Front Al-Nosra a connu une ascension fulgurante, s'imposant partout comme le fer de lance de la rébellion au détriment de l'Armée syrienne libre (ASL), principale composante de l'opposition armée, inefficace et souvent jugée comme corrompue. "Le groupuscule n'a fait que se renforcer à l'été et à l'automne 2012 grâce à la conjonction de plusieurs facteurs : la création de zones libérées à l'est et au nord ; la brutalisation du conflit avec les attaques aériennes ; et le sentiment de stagnation de l'opposition", indique Thomas Pierret.
Le Front Al-Nosra compte désormais parmi les groupes les mieux équipés et les mieux structurés de l'insurrection syrienne. Selon certaines estimations, il pourrait comprendre quelque 6 000 membres, en majorité syriens. Le Front attire également des volontaires étrangers de toutes nationalités : Arabes (dont des Irakiens et Palestiniens), originaires du Caucase, d'Asie centrale, d'Afrique du Nord et de l'Est et d'Europe. A en croire des récits publiés sur des forums djihadistes, des centaines de combattants ont franchi la frontière irako-syrienne pour aller se battre contre le régime syrien.
Des rebelles de l'ASL ont affirmé à l'AFP que les combattants d'Al-Nosra, malgré leur faible nombre, disposaient d'un appui économique et logistique supérieur aux autres insurgés et recevaient de l'argent "de l'étranger". "Ils ont un financement régulier, que l'on suppose émanant de personnes privées du Golfe, qui leur assure de disposer d'un armement. Mais ils ne sont pas spectaculairement armés", indique Thomas Pierret. Rapidement, l'administration américaine, qui l'a placé mi-décembre sur sa liste des organisations terroristes, affirme qu'Al-Nosra serait lié à Al-Qaida en Irak qui, sous la houlette d'Al-Qaida, chapeaute différents groupes djihadistes.
UN RADICALISME ISLAMISTE
Comment interpréter l'annonce faite mercredi par Abou Mohammed Al-Golani ? "Il y a dans ce positionnement du Front Al-Nosra un souci de ménager le sentiment national syrien et de ne pas gêner les autres membres de l'opposition syrienne en affichant une dépendance vis-à-vis des Irakiens", analyse Thomas Pierret. "Certains pensent que cela peut attirer l'animosité de la population. Par ailleurs, bien que le Front soit déjà vu comme une émanation d'Al-Qaida au sein de l'opposition et à l'extérieur, certains combattants pourraient réfléchir à deux fois avant de rentrer dans l'organisation", poursuit l'islamologue.
L'ambition du Front d'instaurer une gouvernance islamique dans la Syrie de l'après-Assad est notamment rejetée par l'Armée syrienne libre (ASL), principale composante de la rébellion. "Nous ne soutenons pas l'idéologie d'Al-Nosra (...) Personne n'a le droit d'imposer aux Syriens la forme de leur Etat", a réagi Louaï Meqdad, responsable de la communication pour l'ASL, assurant que les rebelles luttent pour un "Etat démocratique". En dépit de ces divergences avec le Front Al-Nosra, "certaines brigades de l'ASL coopèrent avec eux dans certaines opérations sur le terrain. C'est une coopération tactique et ponctuelle", a reconnu Louaï Meqdad.
L'identification du Front Al-Nosra avec le salafisme djihadiste, et notamment avec Al-Qaida, a été mis en avant par les Etats occidentaux pour justifier leur réticence à armer l'opposition. Leur rhétorique anti-chiite et anti-alaouite inquiète par ailleurs, à la fois les autres franges de la rébellion et les Etats occidentaux quant à l'avenir de la Syrie post-Assad. Au cours des derniers mois, des frictions sont également apparues avec les populations sunnites des zones libérées du fait de la répression d'attitudes jugées "anti-islamiques". Pourtant, jusqu'à présent, le Front avait toujours affiché son souci de s'attirer la sympathie des populations, par la discipline de ses combattants, ou encore les activités modestes de sa branche "humanitaire" Qism Al-Ighata.