Je venais tout juste de reprendre place à mon poste dans le laboratoire lorsque les lumières s’éteignirent une demi-seconde, avant de clignoter. L’alarme, grave et sourde, résonna dans les couloirs de la cité. J’eus à peine le temps d’échanger un regard inquiet avec Zelenka que deux soldats entrèrent déjà dans la pièce, armes levées.
— Docteur Lenaris. Vous devez nous suivre immédiatement.
Je me levai sans résistance, levant les mains légèrement.
— Que se passe-t-il ?
— Nous avons reçu un signal prioritaire, de nature inconnue. Il semble avoir été émis depuis votre poste.
Je sentis un poids glacé dans ma poitrine.
— Un signal ?
Le regard du soldat ne vacilla pas.
— Protocole de sécurité. Veuillez nous suivre.
Je croisai le regard de Rodney. Il était déjà debout, surpris, mais je n’eus pas le temps de lire ce qu’il pensait. Je quittai la pièce, escortée, le cœur calme mais les pensées bourdonnantes. Quelques minutes plus tard, je me retrouvai dans une salle vide, froide. Une cellule de détention légère, mais suffisamment claire sur ce qu’elle représentait : je n’étais plus simplement une invitée. Je m’assis, droite, les mains posées sur mes genoux. Pas de panique. Pas de colère. Je savais ce que représentait une faille technologique sur Atlantis.
Je savais aussi que ma seule existence ici rendait tout cela encore plus inquiétant aux yeux des autres. Et je ne pouvais pas leur en vouloir.
Je n’avais même pas encore compris ce qu’il s’était passé. Un signal ? Depuis son poste ? C’était absurde. Rien dans ses actions n’indiquait quoi que ce soit de suspect. Et pourtant, les protocoles avaient été activés en quelques secondes. Elle avait été escortée sans ménagement, sans même qu’on ait pu vérifier ce que ce foutu signal contenait réellement. Je repassai les dernières minutes dans ma tête, furieux, tout en me ruant sur la console de diagnostic.
— Zelenka, aide-moi à tracer le flux de sortie. On doit trouver l’origine exacte.
— Déjà en train de le faire, répondit-il, les yeux rivés sur son propre terminal. Le message n’a pas quitté Atlantis. Il a juste été redirigé… par un ancien relais sous les quartiers nord. Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
— Un vieux sous-système de communication à micro-pulsations. Obsolète, inutilisé depuis des années…
Je marquai une pause, mes doigts s’arrêtant soudain sur le clavier.
— … activé par la surcharge énergétique. Merde.
Je lançai une simulation. L’augmentation de puissance dans la section sud-ouest avait relancé certains circuits abandonnés. Des capteurs automatiques oubliés par l’équipe de cartographie initiale. Et l’un d’eux, au moment de la relance, avait envoyé un signal de balise de détresse crypté — un ancien code utilisé par les Anciens. Pour le système de sécurité de la cité, c’était un protocole prioritaire. Pour le personnel militaire… c’était un acte suspect. Et comme par hasard, émis depuis le poste de la nouvelle venue d’un univers parallèle.
— Je le savais… grognai-je en lançant un scan complet. Ce n’est même pas elle. Ce fichu message est préprogrammé. Un automatisme. C’est le système qui l’a lancé, pas elle.
Zelenka acquiesça vivement. "Et il a été relayé par un pont secondaire que nous n’avions pas répertorié. Ce n’est pas sa faute."
Je me redressai d’un bond.
— Alors qu’est-ce qu’on attend ? Il faut prévenir Woolsey, tout de suite.
Je m’élançai dans le couloir sans attendre la fin de la phrase. Parce qu’il y avait une différence entre être prudent… et condamner quelqu’un parce qu’on avait peur de ce qu’on ne comprend pas. Et moi, je comprenais très bien.
Dernière modification par MllePayga le 26 août 2025, 18:20, modifié 1 fois.
La cellule n'était pas restée silencieuse très longtemps. Deux soldats vinrent me chercher, sans un mot, et m'escortèrent à travers les couloirs jusqu'à une salle que je ne connaissais que trop bien : sobre, froide, éclairée par une seule rampe de lumière au plafond. Une salle d’interrogatoire. Woolsey m’attendait déjà, debout. Bras croisés. Visage fermé. Il n’était pas le diplomate posé que j’avais entrevu jusqu’ici. Ce jour-là, il était le commandant de la cité, chargé de protéger son monde d’un potentiel danger interdimensionnel. Il m’indiqua le siège face à lui d’un simple geste. Je m’assis.
— Docteur Lenaris, commença-t-il, sans préambule. À 15h07, un signal de classe rouge a été émis depuis votre poste de travail. Ce signal correspond à un ancien protocole de détresse utilisé par les Anciens, et a été interprété par notre système comme un appel prioritaire potentiellement détectable par des entités extérieures.
Je restai droite. Les mains jointes.
— Je comprends la gravité de la situation, Monsieur Woolsey. Et je vous assure que je n’ai déclenché aucun signal, ni manuellement, ni intentionnellement.
— Pourtant il a bien été émis de votre station.
— Je le sais. Et c’est pour ça que je veux comprendre aussi. Parce que si le système a agi sans intervention directe, alors nous avons un vrai problème.
Il marqua une pause, l’œil froid.
— Ou vous mentez.
Je ne bronchai pas.
— Et pourquoi l’aurais-je fait ?
— Vous êtes issue d’un univers que nous ne connaissons pas. Vous avez accès à des savoirs, des protocoles, des langages que nous découvrons à peine. Et maintenant, un message crypté surgit, pile au moment où vous travaillez sur notre réseau énergétique ?
Je hochai lentement la tête, sans baisser les yeux.
— Je comprends vos doutes. Mais je n’ai rien fait pour vous nuire. Je n’ai aucun intérêt à saboter la cité qui m’a accueillie. Atlantis est… tout ce qu’il me reste.
Un silence pesa quelques secondes.
— Je n’attends pas que vous me fassiez confiance, Monsieur Woolsey. Mais je vous demande simplement d’écouter les faits.
Il m’observa encore. Puis se détourna un instant, comme s’il cherchait à jauger mes mots dans leur moindre inflexion.
— Des analyses sont en cours, dit-il finalement. Docteur McKay et Zelenka travaillent à vérifier l’origine du signal. En attendant, vous resterez confinée. Ce n’est pas une punition. C’est une mesure de sécurité.
— Je comprends.
Et je le pensais. Parce qu’à leurs yeux, je restais une étrangère. Et je savais ce que c’était que d’être redoutée simplement pour ce qu’on est.
Mais cela ne voulait pas dire que j’étais prête à m’y résigner.
La porte claqua derrière moi. Woolsey et Payga se tournèrent vers moi en même temps — lui surpris, elle simplement attentive.
— On a trouvé, dis-je sans préambule, ma tablette toujours en main. Le signal. Ce n’est pas elle.
Woolsey fronça les sourcils, mais je ne lui laissai pas le temps de parler.
— Ce n’est pas un envoi manuel, ni même un sous-programme implanté. C’est un relais de sécurité automatique activé par une poussée énergétique localisée dans un ancien sous-système de communication. Les capteurs ont interprété la montée de tension comme une alerte critique. Ils ont déclenché une balise codée - et c’est tout.
Il croisa les bras.
— Et cette balise s’est déclenchée depuis le poste de travail qu’elle utilisait, par pur hasard ?
— Pas hasard. Coïncidence technique. Les relais hydrauliques qu’elle nous a aidés à activer ont réveillé des circuits dormants. Ce relais-là était en sommeil depuis, je ne sais pas… dix mille ans ? Il n’était même pas dans nos bases de données. En gros, c’est comme appuyer sur un interrupteur sans savoir qu’il allume aussi la lumière du voisin.
Je m’arrêtai une seconde. Le silence dans la salle était pesant.
— Si elle n’avait rien fait, on aurait continué à ignorer ce relais. Mais elle n’a rien provoqué. Elle a juste… bossé. Brillamment, soit dit en passant.
Payga ne dit rien. Elle me regardait, simplement. Presque… reconnaissante. Mais aussi prudente. Toujours sur ses gardes. Woolsey sembla peser mes paroles, puis soupira légèrement.
— Vous êtes sûr de votre analyse ?
— À 100 %.
Il hocha lentement la tête, se tourna vers Payga.
— Vous êtes libre de regagner vos quartiers.
Je vis son regard se radoucir à peine - juste assez pour comprendre qu’il acceptait de réévaluer ses soupçons. Mais la méfiance, elle, ne disparaîtrait pas de sitôt. Je m’approchai de la porte, l’ouvrant sans un mot. Payga se leva. Elle me rejoignit calmement. Et alors qu’elle passait à mes côtés, sans que personne d’autre ne puisse l’entendre, elle murmura :
— Merci.
Je n’avais rien à répondre. Parce qu’au fond, je n’avais fait qu’une chose : ce qui était juste.
Les portes coulissantes se refermèrent dans mon dos, me coupant de la salle d’interrogatoire et de ce qu’il restait de tension froide. Je marchais d’un pas calme, droite, mais je sentais encore dans mes muscles l’écho de la méfiance.
Les couloirs d’Atlantis étaient plus silencieux que d’habitude. Ou peut-être était-ce moi qui n’entendais plus les mêmes sons. En tournant dans l’aile est, je tombai nez à nez avec lui. Ronon Dex. Il marchait dans ma direction. Mâchoire serrée. Regard fixe. Armes dans le dos comme une seconde peau. Il ne ralentit pas. Pas tout de suite. Moi non plus. On s’arrêta à quelques pas l’un de l’autre. Il me scruta. Longtemps. Pas menaçant. Pas amical non plus.
— Tu sors de l’interrogatoire ? demanda-t-il sans détour.
Je hochai la tête.
— Oui.
— Tu sais ce que t’as déclenché ?
— Pas encore complètement. Mais McKay pense que c’est une vieille balise, un circuit oublié. Un accident.
Il ne répondit pas tout de suite. Son regard se posa sur moi comme un scanner.
— Tu fais peur à certains ici, finit-il par dire.
— Je sais.
— Et t’as pas l’air de vouloir changer ça.
Je le fixai à mon tour.
— Parce que je ne peux pas. Tout ce que je peux faire, c’est continuer à être utile. Le reste… ça viendra. Ou pas.
Un silence. Puis un léger hochement de tête de sa part. Presque imperceptible.
— Tu tiens bien sous pression, dit-il simplement. C’est bon signe.
Je crus percevoir… un infime respect, dans le pli de sa bouche. Ou peut-être l’avais-je imaginé. Il s’écarta pour me laisser passer. Et au moment où je le dépassai, il ajouta, sans se retourner :
— Mais si un autre signal sort d’ici… je serai le premier à venir frapper.
Je m’arrêtai un instant. Et répondis, sans me retourner non plus :
— Alors fais vite. Parce que je n’aime pas me répéter.
Un silence. Puis un rire bref. Léger. Authentique. Et nous reprîmes chacun notre route.
Je n’aimais pas les réunions quand elles commençaient par un silence. Surtout quand ce silence était suivi par le genre de regards que tout le monde évitait de poser sur moi… mais qui, aujourd’hui, ne pouvaient pas s’en empêcher. Woolsey était déjà assis. Sheppard se balançait sur sa chaise, bras croisés, l’air détendu pour quelqu’un qui n’aimait pas les surprises. Teyla, droite, attentive. Ronon, en retrait, silencieux, mais tendu. Zelenka était à ma droite, la mâchoire serrée, les doigts déjà sur sa tablette. Woolsey ouvrit la séance d’un ton direct.
— Nous avons poursuivi les recherches autour de la planète évoquée par Docteur Lenaris : Terokar.
Je pris le relais sans attendre.
— Elle existe. Dans cet univers. Coordonnées confirmées, système stellaire identique, même nom dans les archives. Elle figure dans la base de données des Anciens comme centre scientifique actif il y a plusieurs millénaires.
Zelenka activa la projection holographique. Une carte de la galaxie s’illumina, ciblant la zone.
— Mais la porte des étoiles n’est pas active, poursuivit-il. Elle ne répond pas à nos tentatives de connexion. Aucune synchronisation. C’est comme si elle n’existait plus, ou comme si elle avait été… volontairement mise hors ligne.
— Volontairement ? demanda Sheppard.
— Un isolement délibéré est une possibilité, répondis-je. Ou un effondrement structurel. On n’en sait rien tant qu’on n’y va pas.
— Et on ne peut pas y aller pour l’instant, précisa Woolsey. Pas sans le Dédale ou l’Apollo. Aucun transport disponible avant deux semaines, au minimum.
Un silence s’installa. Je lançai un regard à Zelenka, puis à Teyla.
— Si la planète est intacte, ça pourrait changer beaucoup de choses pour elle, dis-je enfin. Et pour nous. On pourrait peut-être y trouver… des réponses.
Ronon grogna.
— Ou des problèmes.
Sheppard posa les coudes sur la table.
— Vous pensez qu’il faut y aller ?
Woolsey réfléchit.
— Pas encore. Pas tant que nous n’avons pas tous les éléments. Mais vous allez continuer à étudier les données. Et quand un vaisseau sera disponible… nous aviserons.
Je hochai la tête. En silence. Mais une idée ne me quittait plus. Et si la Terokar de cet univers… n’était pas celle que Payga avait connue ? Et si elle n’était pas la seule survivante de son monde ?
Le réfectoire avait cette ambiance douce et constante qu'on retrouve dans tous les lieux vivants depuis longtemps. Des conversations calmes, des rires étouffés, des plateaux qui glissent, le tintement des couverts contre des assiettes chaudes. Pour la première fois depuis mon arrivée, j’avais faim.
Pas par envie. Pas par confort. Mais par nécessité. Mon corps me rappelait que j’étais en vie, même si mon esprit n’était pas encore tout à fait d’accord.
Je pris un plateau, parcourus les plats proposés avec un œil distrait, et me contentai de quelque chose de simple. Du riz. Quelques légumes. Rien de trop… terrien. Lorsque je me retournai, je vis Teyla assise près de l’une des baies vitrées, seule, un livre de données entrouvert devant elle. Elle leva les yeux, croisa mon regard et m’adressa un léger sourire. Puis elle fit un geste vers la chaise en face d’elle. Je m’approchai doucement.
— Tu es certaine que je ne dérange pas ? demandai-je en posant mon plateau.
— Pas du tout. Je t’attendais, en fait, répondit-elle, toujours calme, toujours sincère.
Je m’assis. Un court silence s’installa, confortable. Teyla referma son livre.
— Alors… ta première journée ?
Je souris doucement.
— Chargée.
— Et productive, à ce que j’ai entendu.
— On a activé une dérivation énergétique ancienne. Ça a doublé l’activité de certains circuits oubliés. Et failli me valoir un emprisonnement.
Elle sourit, mais ses yeux restèrent sérieux.
— Tu as gardé ton calme. Je crois que beaucoup ici ne s’attendaient pas à ça.
— J’ai appris depuis longtemps qu’il vaut mieux ne pas répondre à la peur par la colère. Ça ne fait que l’alimenter.
Elle hocha la tête, approuvant sans un mot. Un instant, elle laissa son regard dériver vers la baie vitrée, puis revint vers moi.
— Tu t’intègres bien, malgré tout. Tu observes beaucoup.
— C’est plus sûr que de parler trop vite, répondis-je avec un demi-sourire.
Elle eut un petit rire.
— Tu me rappelles un peu… moi. Quand je suis arrivée ici. Je n’étais pas venue pour rester. Et pourtant, je n’ai jamais vraiment voulu repartir.
Je la regardai, curieuse.
— Tu avais peur ?
— Pas peur. Juste… entre deux mondes. Mon peuple, et cette cité. Ma famille, et ma mission. Je n’étais ni d’ici, ni de là-bas.
Je baissai les yeux vers mon assiette, puis murmurai :
— Je crois que je comprends parfaitement ce que tu veux dire.
Je retrouvai Jennifer dans le réfectoire un peu plus tard, à notre table habituelle, près du mur du fond. Elle m’attendait déjà, un plateau devant elle, un sourire tranquille sur les lèvres.
— Tu arrives à temps, je n’ai pas encore attaqué mon dessert.
— Tu sais que j’ai un radar intégré pour ça, lançai-je en posant mon propre plateau - à moitié froid - sur la table.
Je m’assis, encore porté par l’énergie de la réunion précédente.
— Tu aurais dû voir les relevés de ce matin. Le rendement énergétique a bondi de 28,7 % en moins de deux heures. C’est fou, non ? Je veux dire, qui aurait cru que ce vieux système de dérivation fonctionnerait encore ? Et elle l’a trouvé comme si c’était écrit dans un manuel !
Jennifer leva un sourcil, amusée.
— Elle ?
— Payga. Je souris malgré moi. Elle est... brillante. Sa logique est précise, rapide, et elle comprend la technologie des Anciens comme si elle y avait grandi. Je sais que je suis difficile à impressionner - enfin, pas vraiment, mais quand même un peu - mais là, franchement, je dois le reconnaître.
Je relevai les yeux vers elle. Elle souriait toujours, mais il y avait une ombre dans son regard. Une toute petite chose. Une micro-pincée de silence entre ses mots.
— Tu parles beaucoup d’elle, ces temps-ci, dit-elle doucement.
Je clignai des yeux.
— Hein ? Oh. Oui. Non, mais c’est normal. Elle travaille avec nous. Et elle…
Je me tus. Juste une seconde. Elle posa sa fourchette, croisant les bras sur la table.
— Je t’ai parlé de ses examens ?
Je secouai la tête, soulagé du changement de sujet.
— Il y a eu un détail… étrange dans l’échographie du bébé. Une excroissance au niveau du lobe pariétal. D’abord, j’ai cru à une anomalie. Mais Payga m’a expliqué que c’était quelque chose de parfaitement naturel chez les enfants terokains.
— Une sorte de… capacité psychique ? soufflai-je, intrigué.
Jennifer acquiesça.
— Oui. Un organe temporaire. Elle m’a dit que ça permet au fœtus d’établir un lien avec son géniteur. Par le rêve, par des images, des sensations. Mais seulement si ce lien est fort.
Je ne répondis pas tout de suite. Un frisson remonta le long de ma colonne. Images. Sensations. Rêves. Je revoyais l’eau. Les formes. Les éclats lumineux. Les battements, comme un souffle. Et ce moment étrange, inexpliqué, où le monde autour de moi s’était soudain déformé. Ce n’était pas un bug. Ce n’était pas mon imagination. C’était elle. Ou plutôt… eux. Un bébé à la recherche de son père. Pas moi. Mais… une version de moi. Je me redressai, un peu trop vite. Jennifer me regarda, curieuse.
— Quelque chose ne va pas ?
— Non. Non, rien. Je… pensais juste à ce que ça implique, biologiquement parlant. Fascinant, vraiment.
Elle hocha la tête, mais ses yeux restaient posés sur moi. Elle savait que je lui cachais quelque chose. Mais elle ne dit rien. Et moi, je me tus. Parce que j’étais encore en train d’assembler les pièces. Et plus je les assemblai… plus je sentais que je n’étais peut-être pas aussi extérieur à tout ça que je le croyais.
Je quittais le laboratoire après une journée chargée, les pensées floues, les jambes plus lourdes que je ne voulais l’admettre. Le couloir était désert. Silencieux. Presque apaisant. C’est là que je le vis, adossé au mur, les bras croisés, l’air aussi détaché qu’un soldat peut prétendre l’être quand il vous attend de pied ferme. Colonel John Sheppard. Il redressa légèrement les épaules en me voyant approcher.
— Payga, dit-il simplement.
— John pardon colonel, répondis-je, aussi polie que prudente.
Je ralentis sans vraiment m’arrêter. Mais lui, ne bougea pas.
— Tu as une minute ?
Je hochai la tête.
— Toujours.
Il désigna un banc contre la paroi. Nous nous y assîmes, à bonne distance. Il regardait droit devant lui, évitant soigneusement mon regard. Classique.
— Je me suis dit qu’on devrait parler, dit-il après un instant. Toi et moi, seuls.
— Je pensais que tu m’évitais justement pour ne pas avoir à le faire.
Il eut un léger sourire en coin.
— J’en ai peut-être eu l’intention, ouais.
Un silence. Pas inconfortable. Juste… réel.
— Je ne suis pas lui, finit-il par dire.
— Je sais.
Il tourna enfin la tête vers moi.
— Tu arrives ici, tu connais tout le monde, tu connais mes gestes, ma voix, mes habitudes… Tu savais que je buvais mon café trop chaud ?
— Tu râles toujours au deuxième gobelet.
Il soupira. Pas fâché. Juste… paumé.
— Je ne sais pas comment te parler, avoua-t-il. Je veux dire… je ne suis pas ton ami. Pas ton frère. Je suis un inconnu. Et pourtant, quand je te vois… j’ai l’impression que je devrais m’excuser de ne pas te connaître.
Je l’observai, touchée malgré moi par cette vulnérabilité maladroite.
— Je ne t’attends pas, répondis-je doucement. Et je ne projette rien sur toi. Ce que j’ai perdu… est resté là-bas. Tu es un autre homme. Je le respecte.
Il me fixa un moment, comme s’il cherchait une faille dans mes mots.
— Tu sais, ajouta-t-il, je ne suis pas aussi froid que je le laisse croire. Mais j’ai des responsabilités ici. Et les gens que je protège… ils ont peur de toi.
— Je sais.
— Et toi ?
Je penchai la tête.
— Moi ? J’ai peur qu’un jour, je commence à m’y habituer.
Son regard s’adoucit un peu. Il se redressa, tapota ses genoux et se leva.
— Bon… je voulais juste te dire que si tu as besoin de quelque chose, passe par McKay.
Je haussai un sourcil.
— Pas par toi ?
— Pas encore, répondit-il en s’éloignant, mains dans les poches. Mais peut-être un jour.
La chambre était silencieuse. Jennifer dormait profondément à côté de moi, sa respiration régulière, paisible. Moi, j’avais eu du mal à trouver le sommeil. Comme souvent, quand trop de pensées s’accumulent dans les coins de mon cerveau. Mais cette nuit-là, ce n’était pas le bruit des idées… c’était autre chose. Un frisson. Un appel. Et quand enfin mes paupières se fermèrent, ce ne fut pas le noir habituel qui m’enveloppa.
Ce fut… un endroit. Une salle.
Des murs courbés en métal ancien. Des lumières faibles, bleutées. Des alarmes lointaines.
Un laboratoire.
Et elle était là.
Payga.
Pas la Payga que je connaissais ici. Plus jeune. Ses cheveux tirés en arrière, un bandeau autour du front. Des traits tendus. Des yeux clairs, déterminés. Un uniforme différent, gris clair, marqué de symboles inconnus.
Elle parlait vite. À quelqu’un d’autre. À moi. Ou plutôt… à lui. L’autre McKay.
Il avait les mêmes yeux. La même voix. Mais pas la même fatigue.
Ils étaient debout, face à une console d’analyse. Des hologrammes défilaient, des calculs complexes, un modèle en trois dimensions d’un noyau planétaire en désintégration.
"Si la pression tectonique continue d’augmenter à ce rythme, nous n’aurons plus que quarante heures," disait-elle.
"Et vos méthodes ne feront que retarder l’inévitable," répliqua McKay, les bras levés. "Il faut évacuer maintenant. Vous ne voyez pas que c’est fichu ?"
"Je ne peux pas accepter ça. Je n’abandonnerai pas ma planète tant qu’il reste une chance. Même minime."
"Vous allez mourir pour un calcul ?!"
"Non," dit-elle plus doucement. "Je vais tout essayer… pour ne pas regretter."
Ils se regardèrent.
Longtemps.
Pas un regard de défi. Ni de colère.
Un regard de reconnaissance, qui venait de naître.
Un moment suspendu entre deux esprits brillants, au milieu du chaos.
Et ce moment, je le sentis.
Je le vécus, dans ma poitrine, comme si j’avais été là.
Puis l’image se brouilla, déformée, comme balayée par un souffle d’eau et de lumière.
Je me réveillai en sursaut, haletant. Jennifer dormait encore, paisible. Moi, je restai immobile, le cœur battant fort, les yeux grands ouverts dans la pénombre. Ce n’était pas un rêve. C’était un souvenir. Mais pas le mien.